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calme et beaucoup moins fréquenté. C’est un pèlerinage tant intime, où se rendent seulement les populations voisines de Kerlaz, d’où dépend la chapelle de la Clarté. Il a plu pendant une partie de la journée, ce qui a encore diminué l’affluence des fidèles. Les chemins sont inondés, les feuillées qui entourent l’église sont toutes ruisselantes, et les tentes des marchands de gâteaux, de crêpes et de cidre sont détrempées par l’humidité. Pourtant la petite nef est bourrée de fidèles, et les dévots qui n’ont pu entrer se tiennent agenouillés autour des murailles : les hommes devant le portail, les femmes au chevet. La chapelle s’élève solitaire au milieu des champs, et elle est entourée d’épais massifs d’arbres. Les filles endimanchées sont debout, accoudées au mur d’enceinte, des enfans aux bonnets chargés de dorelateries se roulent dans les jupes de leurs mères ; les gars en vestes brodées vont et viennent dans les sentiers mouillés et lorgnent timidement les jeunes filles. Des mendians : manchots, aveugles, culs-de-jatte, braillent des complaintes bretonnes et se traînent à travers la foule.

Tout à coup la cloche grêle tinte dans l’étroit clocher ; les portes s’ouvrent, et la procession sort de la chapelle. Ce sont d’abord les femmes aux collerettes et aux coiffes empesées, tenant chacune un cierge allumé ; puis un vieux Breton aux longs cheveux blancs, en veste bleue et en braies, qui bat avec conviction une marche religieuse sur son tambour ; puis la statue dorée de la Vierge portée par quatre filles en blanc et précédée de lourdes bannières. Le clergé vient ensuite, entonnant des litanies, et derrière, sur deux rangs, des files de paysans aux cheveux flottons, aux mentons ras, aux figures austères et énergiques. Tous les pèlerins épars dans les sentiers tombent à genoux, et, aux roulemens de tambour, aux tintemens de la petite cloche, l’humble procession monte lentement vers le calvaire. Les silhouettes des coiffes blanches, des têtes chevelues des chantres et des porteurs du dais, se découpent vigoureusement sur le ciel gris. Un clair rayon de soleil, filtrant entre deux nuées, fait scintiller la couronne vacillante de la Vierge et empourpre brusquement un coin de bannière… Et on est tout étonné de se sentir ému, comme si une dernière bouffée de la foi lointaine des saisons enfantines vous remontait soudain du cœur jusqu’aux yeux.


14 septembre.

Comme nous entrions dans le bac de Tréboul, nous y avons trouvé, déjà installées, à Payse et Jemima, avec leur petit page Josic, Elles vont finir une étude à la pointe de Leïdé et nous leur avons demandé la permission de les accompagner. Le bac abonde