Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre le pierré du port, et à deux pas s’arrondit une première falaise gazonneuse sur laquelle sèchent des filets. Des enfans y jouent ; des femmes de pêcheurs, éparses sur la pelouse, tricotent en regardant la mer. — Accroupie contre une roche, une vieille se tenait immobile et pleurait silencieusement. La muette douleur profondément empreinte dans les traits et dans l’attitude de cette femme en deuil nous a saisis au passage. La Payse s’est approchée de la vieille et l’a interrogée de sa voix claire et sympathique. Quand elle nous a rejoints, elle avait elle-même les yeux humides.

— Pauvre femme ! nous a-t-elle dit, figurez-vous qu’elle reste seule au monde à soixante-dix ans, avec deux petits-enfans, dont l’aîné n’en a pas dix. Son fils est mort en mer, et sa belle-fille est morte aussi, à ce que j’ai pu comprendre, car la vieille parle à peine français, et les larmes étouffent sa voix.

Un peu plus bas, nous nous sommes tous arrêtés de nouveau pour regarder un garçon de cinq ans, proprement vêtu, assis à l’écart et d’une beauté remarquable. Ses joues d’un beau rose, ses purs yeux bleus bordés de longs cils, sa bouche délicatement modelée, faisaient notre admiration. Avec cela, il avait un air si sage et si triste ! l’air d’un enfant auquel personne n’a souri. — L’expression sérieuse de ce mignon visage me rappelait les figures précocement graves des bambins que j’avais vus à Paris, à l’hospice des Enfans-Trouvés… Une voisine qui tricotait non loin de là s’est approchée :

— N’est-ce pas qu’il est mignon ? a-t-elle murmuré, le pauvre ! il est orphelin, et si quelqu’un voulait le prendre, ce serait une charité à faire…

— Je suis sûre que c’est l’enfant de la vieille femme que j’ai vue là-haut ! s’est écriée la Payse.

— Oui, madame, justement… La vieille a bien des maux, à son âge, avec deux créatures à nourrir.

— Le père est mort ?

— Oui, il y a un an… Sa barque s’est perdue au raz de Sein.

— Et la mère ?

La voisine a haussé les épaules :

— Après la perte de son homme, elle a abandonné ses enfans et quitté le pays… c’est comme si elle était morte… Et plus bas : — Elle est à Quimper,.. dans une mauvaise maison.

Je regardais l’enfant. On eût dit qu’il comprenait. Bien que nous l’eussions caressé et que nous lui eussions donné une pièce blanche, il ne se déridait pas. Il serrait la pièce dans sa main et levait vers nous d’un air effarouché ses deux grands yeux bleus si tristes.

— Tiens, ai-je murmuré à Tristan, voilà une occasion unique… Toi qui es célibataire et qui rêves d’adopter un enfant, prends