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de ces détails qu’une mère aime tant à lire, de ces entretiens qui m’étaient si doux et si consolans à Périgueux. Si je laisse mon fils livré à son père, il sera gâté aujourd’hui, battu demain, négligé toujours, et je ne retrouverai en lui qu’un méchant polisson. On ne m’écrira que pour me le faire malade afin de me contrarier ou me faire revenir.

Je crois que si c’était là son sort, j’aimerais mieux supporter le mien tel qu’il est et rester près de lui pour adoucir du moins la brutalité de son père. D’un autre côté, mon mari n’est pas aimable, Mme Bertrand ne l’est pas non plus, mais on supporte d’une femme ce qu’on ne supporte pas d’un homme, et pendant trois mois d’été, trois mois d’hyver (c’est ainsi que je compte partager mon tems), ferez-vous aux intérêts de mon fils, c’est-à-dire à mon repos, à mon bonheur, le sacrifice de supporter un intérieur triste, froid et ennuyeux ? Prendrez-vous sur vous-même d’être sourd à des paroles aigres et indifférent à un visage refrogné ? Il est vrai de dire que mon mari a entièrement changé d’opinion à votre égard et qu’il ne vous a donné cette année aucun sujet de plainte ; mais à l’égard des gens qu’il aime le mieux, il est encore fort maussade parfois. Hélas ! je n’ose pas vous prier, tandis que, d’un autre côté, la famille Bertrand, riche et aujourd’hui dans une position brillante, vous offre mille avantages, le séjour de Paris où peut-être elle va se fixer par suite de la nomination du général à la tête de l’école polytechnique, toutes les recherches du luxe et un intérieur plus animé. Que ferai-je si vous me refusez ? Et de quel droit insisterai-je pour vous faire pencher en ma faveur ? Qu’ai-je fait pour vous et que suis-je pour que vous me rendiez un service que personne ne me rendrait ? Non, je n’ose pas vous prier, et cependant je vous bénirais à genoux si vous m’exauciez ; toute ma vie serait consacrée à vous remercier et à vous chérir comme l’être à qui je devrai le plus ; et si une reconnaissance passionnée, une tendresse de mère peuvent vous payer d’un tel bienfait, vous ne regretterez point de m’avoir sacrifié pour ainsi dire deux ans de votre vie, car mon cœur n’est pas froid, vous le savez, et je sens qu’il ne restera point au-dessous de ses obligations.

Adieu, répondez-moi courrier par courrier, cela est bien important pour la conduite que j’ai à tenir vis-à-vis de mon mari. Si vous m’abandonnez, il faudra que je plie et me soumette encore une fois. Ah ! comme on en abusera ! Adressez-moi votre lettre poste restante. Ma correspondance n’est plus en sûreté. Mais grâce à cette précaution, vous pouvez me parler librement. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.