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secret comme vous-même, mais la mort, qui est un accident imprévu et inévitable, peut changer étrangement la destination des écrits, et cela se voit tous les jours. J’ai pour principe de détruire sans tarder tout papier contenant des particularités dont la découverte serait nuisible à la réputation ou au bonheur de quelqu’un. Voilà le seul motif qui m’engageait à vous prier de brûler ma lettre. Si vous la faites passer à votre mère, priez-la donc de le faire. Vous devez reconnaître comme moi l’utilité de cette mesure. Si quelque autre personne que vous ou elle venait à découvrir les torts de mon mari, je me ferais un reproche éternel de les avoir tracés.

Quant à la lettre de Mme Saint-A., je ne suis guère surprise de ses intentions officieuses à mon égard. Je n’ai jamais fait la folie de croire en elle, aussi je ne puis être offensée de sa conduite envers moi, quelle qu’elle soit. Si je trahissais la confiance qui vous a porté à me communiquer cette lettre, je ferais une grande lâcheté. Soyez donc sans crainte. Elle sera oubliée aussitôt que lue. Je ne me souviendrai que de la résistance généreuse que vous opposez à toutes les considérations qu’on vous met sous les yeux.

Je ne puis rien vous promettre pour le voyage à Nismes. Je le désire plus que vous, et ce n’est pas la considération de l’argent qui m’arrêterait le plus. Je suppose que ce voyage serait peu dispendieux. Mais je serai désormais dans une position qui me prescrira beaucoup de prudence dans mes démarches. Le bon accord que, malgré ma séparation d’avec mon mari, je veux conserver dans tout ce qui concernera mon fils, m’obligera à le ménager de loin comme de près. J’ai déjà reconnu que ce projet ne lui souriait point. le m’efforcerai de le lui faire agréer, sinon j’y renoncerai, et vous en m’en blâmerez pas. Désormais je ne dois laisser aucune prise contre moi, ou tout le fruit de mon énergie serait perdu, et j’aurais fourni des armes contre moi-même.

J’éprouve un autre chagrin très vif, c’est de n’avoir pas une obole dont je puisse disposer maintenant. Si j’étais à Paris, je vous trouverais de l’argent dans la journée. Je vendrais mes effets plutôt que de ne pas vous rendre un service, mais ici que faire ? Je suis dans une position délicate envers mon mari. Je lui dois, c’est-à-dire que je suis en avance de la pension qu’il me fait. Cela ne m’a pas empêchée de lui demander aussitôt votre lettre reçue. J’ai éprouvé un refus assez poli, mais très décisif. Plaignez-moi, jamais je ne maudis mon défaut d’ordre comme quand il m’empêche de servir l’amitié ! Cependant, si vous ne pouvez en trouver ailleurs, je tâcherai d’en emprunter sans qu’on le sache, quoique je sois déjà criblée de dettes que j’acquitterai Dieu sait comment ! Répondez-moi immédiatement poste restante à La Châtre.

Mes affaires domestiques s’éclaircissent. Mon frère me soutient