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devenu plus froid, l’air plus subtil, les vents qu’emprisonnaient tes poumons, les tempêtes qui se brisaient contre l’on flanc comme au pied d’une chaîne de montagnes, se sont déchaînés avec furie le jour de ton départ, et toutes les maisons de La Châtre ont été ébranlées dans leurs fondemens, le moulin à vent a tourné pour la première fois, quoique n’ayant ni ailes, ni voiles, ni pivot. La perruque de M. de la Genetière a été emportée par une bourrasque au haut du clocher, et la jupe de Mme Saint-O… a été relevée à une hauteur si prodigieuse que le grand Chicot assure avoir vu sa jarretière.

Et toi, petit Sandeau ! aimable et léger comme le colibri des savanes parfumées ! gracieux et piquant comme l’ortie qui se balance au front battu des vents des tours de Châteaubrun ! depuis que tu ne traverses plus avec la rapidité d’un chamois, les mains dans les poches, la petite place où tu semas si généreusement cette plante pectorale qu’on appelle le pas-d’âne et dont Félix Fauchier a fait, grâce à toi, une ample provision pour la confection du sirop de quatre fleurs, les dames de la ville ne se lèvent plus que comme les chauves-souris et les chouettes au coucher du soleil. Elles ne quittent plus leurs bonnets de nuit pour se mettre à la fenêtre, et les papillotes ont pris racine à leurs cheveux, la coiffure languit, le cheveu dépérit, le fer à friser dort inutile sur les tisons refroidis ; la main de Laurent, glacée par l’âge et le chagrin, tombe inactive à son côté, les touffes invisibles et les cache-peignes moisissent sans éclat dans la boutique de Darnaut, l’usage des peignes commence à se perdre, la brosse tombe en désuétude, et la garnison menace de s’emparer de la place. Ton départ nous a apporté une plaie d’Égypte bien connue.

Quant à votre amie infortunée, ne sachant que faire pour chasser l’ennui aux lourdes ailes ; fatiguée de la lumière du soleil qui n’éclaire plus nos promenades savantes et nos graves entretiens aux Couperies, elle a pris le parti d’avoir la fièvre et un bon rhumatisme seulement pour se distraire et passer le tems. Vous ririez, mes camarades, si vous pouviez me voir sortir de ma chambre, non pas comme l’Aurore aux ailes empourprées attelant d’une main légère les chevaux du classique Phébus dont la perruque rousse a fait vivre les poètes pendant plusieurs siècles, mais comme la marmotte engourdie que le savoyard tire de sa boîte et fait danser à grands coups de bâton pour la mettre en train et lui donner l’air enjoué. C’est ainsi que je me traîne, moi qui naguères aurais défié sur ma bonne Lyska un parti de miquelets, maintenant empaquetée de flanelles et fraîche comme une momie dans ses bandelettes, je voyage en un jour de mon cabinet au salon, et une de mes jambes