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conscience, ils m’ont dit que c’était trop bien de morale et de vertu pour être trouvé probable par le public. C’est juste, il faut servir le pauvre public à son goût, et je vais faire comme le veut la mode. Ce sera mauvais. Je m’en lave les mains. On m’agrée dans la Revue de Paris, mais on me fait languir. Il faut que les noms connus passent avant moi. C’est trop juste. Patience donc. Je travaille à me faire inscrire dans la Mode et dans l’Artiste, deux journaux du même genre que la Revue. C’est bien le diable si je ne réussis dans aucun. En attendant il faut vivre ; et pour cela je fais le dernier des métiers, je fais des articles pour le Figaro. Si vous saviez ce que c’est ! Mais de Latouche paye 7 francs la colonne, et avec ça on boit, on mange, on va même au spectacle, en suivant certain conseil que vous m’avez donné. C’est pour moi l’occasion des observations les plus utiles et les plus amusantes. Il faut, quand on veut écrire, tout voir, tout connaître, rire de tout. Ah ! ma foi, vive la vie d’artiste ! Notre devise est liberté.

Je me vante un peu pourtant. Nous n’avons pas précisément la liberté au Figaro. M. de Latouche, notre digne patron (ah ! si vous connaissiez cet homme-là !), est sur nos épaules, taillant, rognant à tort et à travers, nous imposant ses lubies, ses aberrations, ses caprices. Et nous d’écrire comme il l’entend, car après tout, c’est son affaire, et nous ne sommes que ses manœuvres : ouvrier journaliste, garçon rédacteur, je ne suis pas autre chose pour le moment. Et quant, à mon réveil, je vais déjeuner au café et que je vois les platitudes que j’ai griffonnées la veille dans vingt paires de mains qui se les arrachent et sous les yeux de ces bénévoles lecteurs dont le métier est d’être mystifié, je me prends à rire d’eux et de moi.

Quelquefois je les vois cherchant à deviner des énigmes sans mot et je les aide à s’embrouiller, J’ai fait hier un article pour Mme Duvernet ; au café aujourd’hui, on dit que c’est pour M. de Quélen. Voyez un peu !

Adieu, mon cher enfant, je vous charge d’embrasser mon frère et ma sœur si elle vous le permet. Dites à Polyte de m’écrire un peu plus souvent. Enfermée au bureau d’esprit de mon digne maître depuis neuf heures du matin jusqu’à cinq heures, je n’ai guère le tems d’écrire, moi, mais j’aime bien à recevoir des lettres de Nohant. Elles me reposent le cœur et la tête.

Je vous embrasse et vous aime bien. Dites-moi donc ce que vous faites faire à Maurice.

J’ai revu Kératry et j’en ai assez. Hélas ! Il ne faut pas voir les célébrités de trop près.

De loin c’est quelque chose, etc.