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J’aime toujours M. Duris-Dufresne de passion. Je vous dirai que j’ai vu Mme Bertrand à la chambre des députés. Elle était derrière moi dans la tribune des dames. Je lui ai offert ma place. J’ai été honnête, elle a été gracieuse, et l’histoire finit là.


A Monsieur Charles Duvernet, à La Châtre.


Paris, 6 mars 1831.

Vous êtes un fichu paresseux, mon cher camarade, et si nous n’étions d’anciens amis, je me lâcherais, je crois, mais il faut bien vous pardonner, car on ne refait pas de vieux amis du jour au lendemain. Savez-vous qu’il se passe de belles choses ici ? C’est vraiment très drôle à voir. La révolution est en permanence comme la chambre. Et l’on vit aussi gaîment au milieu des bayonnettes, des émeutes et des ruines que si l’on était en pleine paix. Moi, ça m’amuse, j’en suis fâchée pour ceux à qui ça déplaît, mais nous sommes au monde pour rire ou pour pleurer de ce que nous voyons faire. Et, bien que je pleure quelquefois tout comme une autre, pour le plus souvent je ris, et je fais bien.

Dites-moi donc, mon camarade, vous avez quelquefois l’humeur bien noire à ce qu’il paraît ? moi aussi ; le moyen de s’en dispenser ! mais chez moi la peine ne creuse guères, et chez vous l’ennui se cramponne, du moins je crois le voir à quelques phrases de votre lettre. Cela ne me surprend point, l’air du pays n’est pas léger, la société n’est pas délicate, les cancans ne sont pas spirituels, et les plaisirs ne le sont pas du tout. On vit en tous lieux, je le sais, mais avec des intérêts, un ménage, une occupation personnelle, des projets et des profits. A votre âge, on n’a rien de tout cela, et au mien… que vous dirai-je ? cela ne suffit pas encore. Un peu de patience, quand nous aurons quarante ans, nous serons les meilleurs Berrichons du monde. En attendant, il faut bien varier un peu la vie, et au lieu de vous faire des sermons, je vous engagerai à venir à Paris le plus que vous pourrez ; je sais que les parens ne lâchent guères leurs enfans, mais vous qu’on aime et qu’on gâte passablement, si vous montriez un désir bien prononcé, je doute qu’on sût y résister. Si l’on voulait m’écouter, je parlerais bien pour vous, car je suis pénétrée de l’impossibilité de vivre heureuse à La Châtre, quand on n’est ni vieux, ni père de famille, ni raisonnable par force en un mot.

Je ne suis pas de ceux qui disent que vivre, c’est s’amuser, ou plutôt je ne l’entends pas comme eux. Je crois bien que ce n’est pas