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bien tentés d’attribuer aux mêmes causes la campagne ouverte pour obtenir la suppression des petits tribunaux. Ce serait une profonde erreur. Parmi les adversaires des petits tribunaux, il y a des ennemis de la magistrature, nous ne cherchons pas à le nier, et de ceux-là on sait ce que nous pensons ; mais, depuis trente ans, il s’est produit des faits nouveaux qui ont changé dans notre pays les relations sociales, en rapprochant les distances. Au moyen des chemins de fer, les chefs-lieux d’arrondissement se sont trouvés en contact avec le chef-lieu du département. Cette transformation a été accompagnée d’un déplacement des populations. Le courant qui portait l’habitant des campagnes vers les villes s’est accru dans une proportion qui déroutait les calculs. En même temps le développement de l’industrie a créé des agglomérations immenses. La propriété foncière, jadis la seule, a été éclipsée par l’éclat des fortunes mobilières ; les intérêts qui sont la source des procès se sont transformés comme la richesse publique. Aux contestations nées de la possession du sol ont succédé les litiges soulevés par les sociétés formées à Paris pour les exploitations les plus diverses. Les capitaux ont pris la place de la terre. Cette métamorphose a diminué le nombre des procès. D’autres causes agirent dans le même sens : l’interprétation des lois de plus en plus claire, la fixité du cadastre, l’état civil mieux tenu, le progrès des lumières, exerçaient une action lente. Depuis huit ans, à la suite de nos désastres, l’élévation des droits d’enregistrement a contribué à calmer le zèle des plaideurs. De cette décroissance provenant de tant d’élémens divers sont nés les projets de réduction des tribunaux. En 1848, quelques-unes de ces causes commençaient à peine à se faire sentir ; les propositions furent écartées sans que l’assemblée y prêtât attention. Depuis dix ans, il n’est pas une année qui n’en ait vu éclore une nouvelle, pas un parti politique qui n’ait, sous une forme plus ou moins voilée, reconnu la nécessité de la réduction des tribunaux.

Ainsi il est généralement admis que le personnel des juges est trop considérable en France ; que beaucoup de tribunaux manquent d’occupation et ne trouvent point dans la besogne qu’ils accomplissent la justification de leur existence. Si nous interrogeons la statistique, nous trouvons plus de douze tribunaux qui ne jugent pas 100 affaires par an[1], trente-huit qui en jugent de 100 à 150, cinquante-huit de 150 à 200 ; en résumé, plus de cent qui n’ont pas à leurs audiences la valeur de 200 affaires dans toute l’année. Se rend-on compte de pareils chiffres ? Sans les rapprocher de ceux de Paris, où le même mode de calcul donne environ 1,500 affaires

  1. Encore, pour arriver à ce chiffre, devons-nous ajouter aux affaires civiles jugées contradictoirement et comptées pour une unité, les affaires correctionnelles et les affaires commerciales évaluées pour un tiers.