Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui-ci donnait un Théraméne, celui-là un Coriolan, cet autre un Etéocle, et c’était l’éternel Gabriel Legouvé. Ducis reparaissait avec son Abufar ; un peu plus tard Arnault avec ses Vénitiens. La tradition reprenait son empire. Et même il est curieux de voir comme la jeune génération, aussitôt passée la tempête, n’imagine pas qu’il y ait à faire autre chose que de continuer Voltaire tant bien que mal, et plutôt mal que bien. Le mélodrame enfin commençait d’apparaître, ce mélodrame dont Pixérécourt devait bientôt devenir le roi. La commune, ou plutôt, à cette date, le département, le déplorait dans ce même arrêté, précisément, dont l’observateur de tout à l’heure attendait de si beaux effets, « Le grand principe de ne pas ensanglanter la scène, disait-il en vrai classique, est absolument mis en oubli, et elle, — la scène probablement, — ne cesse pas d’offrir le tableau hideux du vol et de l’assassinat ; il est à craindre que la jeunesse, habituée à de telles représentations, ne s’enhardisse à les réaliser et ne se livre à des désordres qui causeraient et sa perte et le désespoir des familles. » Le style est encore quelque peu emphatique, si vous le voulez, mais voilà pourtant des gens qui redeviennent raisonnables : on sent que le 18 brumaire approche.

Nous pourrions maintenant reprocher à M. Welschinger de ne pas plus conclure qu’il n’avait, à vrai dire, commencé. Mais si son livre n’est qu’un recueil de notes, nous y avons puisé trop abondamment pour qu’il n’y eût pas quelque ingratitude à lui chercher chicane. Son livre n’est pas une histoire du théâtre de la révolution ; aussi bien ne lui en a-t-il pas donné le titre ; mais on ne pourra pas désormais écrire l’histoire du théâtre de la révolution sans recourir à son livre. Revenons donc à notre point de départ et contentons-nous de citer un dernier couplet où le 18 brumaire est célébré par les auteurs avec le même entrain que jadis le 14 juillet lui-même :

Allez-vous-en, vile cohorte,
Honni qui vous regrettera :
Que tous nos maux soient votre escorte,
Le bonheur seul nous restera.
Allez-vous-en !
Allez-vous-en !
Allez-vous-en !
Allez-vous-en !
Et que le diable vous remporte,
Car c’est lui qui vous apporta !


Ils s’étaient mis cinq pour composer cet impromptu en un acte, cinq ! dont J.-B. Radet, le même qui tout à l’heure chantait si gaillardement, comme on l’a vu :

Voilà quelle est la République.


F. BRUNETIÈRE.