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étrange de prétendre faire de Blanqui un personnage historique et de ses obsèques une occasion de manifestation publique ? Qu’a fait Blanqui pendant sa triste vie stérilement partagée entre les complots obscurs et la prison ? Quelle idée a-t-il représentée ! Quelle trace laisse-t-il de son passage ? On sent bien que ces exhibitions à propos d’un mort ne répondent à rien de réel, qu’elles n’éveillent aucun sentiment sérieux dans une population plus étonnée que touchée de ces spectacles, que tout cela est usé et factice. C’est une vision de la nuit de Walpurgis ! Aussi qu’arrive-t-il ? Quand on en vient au fait, le jour où un scrutin s’ouvre, la fantasmagorie tombe, la réalité apparaît, et les séides de Blanqui, après avoir assourdi le monde de leurs jactances, après s’être promis de reconquérir Paris au nom de la commune, en sont pour la plus humiliante défaite. C’est tout au plus si l’un d’eux, un des amnistiés dont le nom a fait le plus de bruit, a pour dernière ressource un ballottage où il risque fort de disparaître définitivement. Le scrutin du 9 janvier balaie les « fantômes de la démagogie ; » la population de Paris se détourne de ceux qui ne lui rappellent que la guerre civile et qui n’ont à lui offrir que des convulsions nouvelles : elle s’arrête !

Encore une fois il ne s’agit nullement de se méprendre, de dénaturer ou d’exagérer la signification d’un vote, ce qui ne conduirait à rien ; il s’agit simplement de prendre les élections de Paris pour ce qu’elles sont, dans ce qu’elles expriment. Ces élections restent une sanction de plus des institutions nouvelles, elles désavouent en même temps tous les excès et fixent en quelque sorte une limite ; elles laissent entrevoir un besoin instinctif d’apaisement et d’ordre régulier. Que manque-t-il pour que ces instincts, assez confus, nous en convenons, se coordonnent et deviennent une force, pour que cette situation prenne un sérieux et rassurant caractère ? Il manque une direction, un gouvernement sachant s’inspirer des intérêts et des sentimens de la France, moins préoccupé de se servir de toutes les armes pour défendre une domination de parti que d’accréditer sérieusement la république de la constitution, — la seule que la France ait acceptée, — par une équité supérieure, par le respect de toutes les libertés et de tous les droits, par l’inviolabilité de toutes les garanties.

Au moment où l’année commence, au milieu d’une Europe où les parlemens se rouvrent, où les complications intérieures ne manquent pas pour tous les pays, la question d’Orient va-t-elle décidément reprendre une gravité nouvelle et redevenir l’obsession de toutes les politiques ? va-t-on avoir pour les frontières de la Grèce les conflits qu’on a pu éviter pour les frontières du Monténégro, pour cette cession de Dulcigno, désormais heureusement oubliée ? La question sera-t-elle, au contraire, définitivement et souverainement remise à l’arbitrage de l’Europe constituée en tribunal de paix ? La première difficulté a été évidemment d’organiser et de préciser cet arbitrage supérieur, qui