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reste peut-être le dernier moyen de détourner des conflagrations redoutables et imminentes. Rapprocher dans une même pensée pacificatrice les politiques qui, dans l’Occident comme en Orient, ont des vues et des intérêts différens, dégager une certaine entente diplomatique de la confusion momentanée qui s’est produite à la suite de la démonstration de Dulcigno, remettre en action ce qu’on appelle le concert européen pour une campagne nouvelle, ce n’était pas une chose aisée. On y est arrivé, à ce qu’il semble, non sans peine, non sans bien des négociations, des explications et des réserves sur la nature, la portée et les limites d’une intervention délicate. L’idée de l’arbitrage a fini par être accueillie un peu partout, c’est-à-dire parmi les arbitres éventuels, parmi les cabinets préoccupés de ne pas laisser de nouveaux incendies s’allumer en Orient. L’intérêt souverain de la paix a été le mobile décisif, à Paris comme à Londres, à Berlin comme à Vienne, à Saint-Pétersbourg, et à Rome. Encore une fois le concert européen s’est remis en mouvement, prenant, toujours pour point de départ le traité de Berlin. Il parait être à l’œuvre depuis quelques jours ; mais il est bien clair que, si les conciliateurs ont réussi à se mettre d’accord, la difficulté est maintenant de faire accepter l’arbitrage par ceux qu’il s’agit de concilier, par ceux qui se regardent en ennemis sur la frontière et qui ont déjà des armes dans les mains. Résolue dans les grandes chancelleries de l’Europe ; la question reste entière à Constantinople et à Athènes. Elle est du moins encore un objet de négociation ; elle se débat entre la diplomatie européenne d’une part, les Turcs et les Grecs d’un autre côté. Quel sera le dernier mot, arbitrage ou guerre ? C’est ce qui peut être décider à chaque instant.

Ni les Turcs ni les Grecs, à la vérité, n’ont paru jusqu’ici disposés à accepter cet arbitrage, qui ne leur dit rien de bon, qui, de toute façon, puisqu’il est un arbitrage, un acte souverain de conciliation, doit nécessairement imposer des sacrifices, des concessions aux uns et aux autres. Les Turcs et les Grecs ont commencé par se montrer récalcitrans, par se retrancher dans leurs prétentions respectives. Est-ce qu’ils ne sont pas cependant intéressés les uns et les autres à éviter un conflit gros de périls inconnus et peut-être de déceptions nouvelles ? Les Turcs, dans cet étrange duel, ont sans doute la meilleure position ; ils ne font après tout que se défendre et résister à une dépossession qu’on a eu le tort de leur imposer en l’aggravant. Ils ne se sont engagés qu’à une rectification de frontière à laquelle ils se déclarent prêts à souscrire encore ; ils ne sont pas obligés de se prêter aux propositions démesurées de la dernière conférence de Berlin, qui démembrent l’empire au profit de la Grèce au lieu de rectifier simplement une frontière. Ils restent sur leur terrain, ils sont dans leur droit, dans la légalité internationale, on ne peut pas dire le contraire ; mais enfin, indépendamment de toutes les circonstances de nature à leur inspirer de