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n’hésite pas à se prononcer. Il ne cache pas que l’état social de l’Irlande a pris un caractère alarmant, que les crimes agraires se sont multipliés, que la justice est impuissante, « qu’il s’est établi dans différentes parties du pays un vaste système de terrorisme qui paralyse l’exercice des droits particuliers et l’accomplissement des devoirs publics… » La conclusion, c’est la nécessité de mesures extraordinaires de coercition devant lesquelles on avait reculé jusqu’ici et qui seront accompagnées de nouveaux projets d’amélioration sur la situation des tenanciers, sur les conditions de la propriété en Irlande. Les réformes agraires sont destinées à faire passer les mesures de coercition. C’est sur cette palpitante question que se sont engagés aussitôt les débats des chambres, et pour la première fois peut-être en Angleterre, la discussion de l’adresse a pris une extension telle qu’on a de la peine à en sortir.

Tout s’est aggravé depuis quelques mois en Irlande, cela n’est pas douteux, le procès de Dublin, l’atteste, les documens de toute sorte communiqués aux chambres le démontrent avec une saisissante et triste évidence. Maintenant, les mesures que le ministère va soumettre au parlement suffiront-elles pour guérir ou pallier un mal qui s’étend sans cesse ? Ont-elles même la chance d’être adoptées d’ici à peu, au moins telles qu’elles seront présentées ? Le ministère, à vrai dire, est dans une situation singulière. Les conservateurs, en lui prodiguant leurs sarcasmes, en l’accusant sinon d’avoir créé le mal, du moins de l’avoir laissé s’aggraver par ses tergiversations, par son inaction, les conservateurs, lord Beaconsfield en tête, ne lui refusent pas leur vote pour les lois de coercition ; mais ils ne voteront sûrement pas les réformes agraires. D’un autre côté, un certain nombre d’amis du cabinet parmi les radicaux voteront sans nul doute les projets agraires ; mais ils semblent dès ce moment peu disposés à accepter les mesures de coercition, à sanctionner cette déclaration que faisait ces jours-ci lord Hartington disant avec fermeté : « Il faut suspendre pour un temps les formes de la liberté afin de la rétablir dans sa substance… » Bon nombre de radicaux même ministériels sont loin d’être de cet avis., Il en résulte une certaine confusion, à laquelle les Irlandais, se font naturellement un de voir d’ajouter par leur intervention.. Les Irlandais reprennent dans le parlement la politique de « l’obstruction ; » ils se réservent de tout empêcher le plus qu’ils le pourront, — et ils ont du moins réussi à prolonger singulièrement la discussion de l’adresse. Ce qu’il y a de clair pour le moment, c’est que la première nécessité, la nécessité la plus universellement, sentie et acceptée est celle de rétablir la paix, profondément troublée en Irlande. Le ministère est dès lors à peu près certain d’avoir ses lois de sûreté ou de coercition avec l’appui des conservateurs aussi bien que des whigs. Il est beaucoup moins certain de faire prévaloir l’autre partie de son système, d’avoir ses lois agraires. La ques-