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modernes sont beaucoup trop Spartiates. Alcibiade ne serait plus possible aujourd’hui, et cette vie inimitable, que Montaigne regardait comme l’idéal d’un sceptique délicat, ne pourrait plus dérouler, avec la libre fantaisie des mœurs antiques, ses orageuses péripéties.

On raconte que c’est à la jeune reine de Grèce qu’il faut attribuer surtout l’austérité d’Athènes. Tout occupée de sa nombreuse et intéressante famille, elle donne l’exemple d’une vie intime, simple, un peu grave, dont l’imitation s’impose autour d’elle. On dit même qu’elle ne se contente pas de donner l’exemple ; qu’elle exerce sur la société et sur la ville une sorte de surveillance morale qui ne recule devant aucun détail. Elle ne trouve pas qu’il soit indigne de la dignité royale de régler directement les questions les plus vulgaires, de s’opposer, par exemple, à ce qu’une trop grande liberté ne s’établisse dans les théâtres et les concerts entre l’auditoire et les artistes et que la musique ne serve de prétexte à des réunions qui n’auraient rien de musical. Une surveillance aussi étroite serait étrange, insupportable même dans un grand pays ; mais Athènes est une bien petite ville, et la Grèce tout entière a des dimensions fort restreintes ! Dans ce milieu resserré, où tout le monde se connaît, où chacun vit sous l’œil du voisin, où il est tout à fait impossible d’échapper à l’attention publique, on comprend que l’influence d’une femme et d’une reine, chez laquelle la grâce n’exclut pas la sévérité, soit acceptée sans trop de peine. Les Athéniens sont fiers de l’ordre parfait qui règne chez eux. Est-ce sincère ? Est-ce, au contraire, comme le prétendent certains esprits critiques, l’effet de l’hypocrisie qui les pousse à vouloir être admirés de toutes les manières par la naïveté de l’Europe ? Je ne tranche pas la question, n’étant pas en mesure de le faire ; je dis seulement ce que j’ai vu.

Parfois cependant, m’a-t-on dit, Athènes se déride et perd sa gravité extérieure. Il suffit d’une troupe étrangère dans le théâtre pour mettre toute la jeunesse en révolution. Mais c’est là une preuve nouvelle de l’austérité ordinaire. Ce sont ceux qui vivent dans la disette qui tombent, à l’occasion, dans les plus grands écarts. Le seul élément permanent de désordre qui existe à Athènes est représenté, faut-il l’avouer ? par toute une classe de gouvernantes et d’institutrices françaises ou soi-disant françaises qu’on rencontre un peu partout. Presque toutes les familles ont de ces prétendues Françaises à leur service, et l’on assure que leurs fonctions ne se bornent pas à apprendre notre langue aux enfans. J’étais un peu humilié du rôle joué par nos compatriotes, mais des personnes très compétentes m’ont affirmé que la plupart de ces gouvernantes et institutrices n’étaient françaises que de nom. Il suffit qu’une