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jeune fille de Smyrne, d’Alexandrie, de Trieste ou des îles ait eu des malheurs pour qu’elle vienne échouer à Athènes et y chercher fortune en se donnant comme maîtresse de français. N’importe ! il est fâcheux pour notre langue, qui sert à tant de bonnes choses en Orient, d’y servir aussi à couvrir ce métier-là.

Ne connaissant point les mœurs des provinces grecques, j’ignore si les autres villes diffèrent d’Athènes. J’ai recueilli à ce sujet des informations trop vagues, trop incomplètes pour oser me prononcer en un sujet aussi délicat. Généralement, à ce qu’on m’a affirmé, il règne en Grèce une simplicité qu’on peut regarder comme le meilleur indice de l’innocence. La plupart des voyageurs que j’ai consultés, ayant longuement vécu dans le Péloponèse et dans les îles, y ont été frappés surtout d’une innocence de manières qui excluait même l’idée du mal. Quand on est reçu en été dans une famille grecque, il n’est pas rare qu’à l’heure de la sieste on vous offre de vous reposer dans la chambre et dans le lit de la jeune fille de la maison ; elle vous cède sa place et va s’établir auprès de ses parens. Ne vous récriez pas, on ne vous comprendrait pas ! N’êtes-vous point étranger ? N’avez-vous point droit à la place d’honneur ? Et quant au lit, honni soit qui mal y pense ! Vos hôtes n’y pensent point pour leur compte. C’est pourquoi vos scrupules sont à leurs yeux un simple défaut de savoir-vivre ou une preuve que vous n’êtes pas satisfait, pour des motifs inexplicables, d’une hospitalité qu’on s’efforce pourtant de rendre aussi cordiale, aussi intime que possible.

Le tableau que je trace ici des mœurs grecques ne ressemble guère à celui qu’a donné M. Edmond About dans la Grèce contemporaine. Mais M. Edmond About avait étudié les mœurs grecques à Smyrne plutôt qu’à Athènes. Les exemples de chasse aux maris qu’il raconte ont été recueillis en Asie-Mineure, non en Attique et dans le Péloponèse. Il paraît bien que les jeunes filles grecques aiment beaucoup à épouser des étrangers, et que la première question qu’on adresse à un homme, arrivant dans certaines régions du pays, est s’il est marié ou non. Suivant la réponse, l’accueil est plus ou moins empressé. Mais à Athènes on est moins primitif ; il n’y a pas de réception spéciale pour les célibataires ; on se préoccupe cent fois plus de laisser aux voyageurs une impression flatteuse que de les encombrer d’une femme. Ce qui explique très bien que les habitudes de Smyrne soient différentes, c’est le nombre très restreint des jeunes gens et la grande abondance des jeunes filles. Aussi ces dernières savent-elles séduire l’homme ; elles savent par quelles complaisances elles se l’attachent, par quelles consolations elles lui font prendre patience sous les yeux de leurs parens, et combien elles doivent lui accorder de leur personne pour faire désirer le peu qu’elles réservent. Cet art, aussi utile que savant,