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son hôte éternel, c’est le corps. On n’épargnait donc rien pour en retarder autant que possible la dissolution et pour conserver intacts des organes, auxquels le double et l’âme viendraient peut-être un jour se rejoindre, de manière à reconstituer l’unité de l’être humain[1]. L’embaumement, pratiqué avec les soins minutieux que l’on sait, rend la momie à peu près indestructible, aussi longtemps du moins qu’elle demeure couchée dans cette terre sèche de l’Égypte qu’aucune pluie ne perce et ne détrempe. Mes compagnons de voyage et moi, nous avons déshabillé, sur le sable tiède de Sakkarah, près de la bouche du puits d’où venaient de la retirer les fellahs de corvée, une grande dame contemporaine des Ramsès ; quand nous l’eûmes dégagée des légères serviettes de lin qui l’enveloppaient et des bandelettes qui la serraient de toutes parts, elle nous apparut telle qu’elle était sortie de l’atelier des taricheutes de Memphis. Elle avait les cheveux noirs, nattés en fines tresses ; toutes ses dents étaient en place entre les lèvres un peu contractées, les ongles étroits des pieds et des mains étaient teints de henné. Les membres étaient restés flexibles et les formes à peine altérées sous la peau partout lisse et ferme qui semblait, dans certaines parties, encore soutenue par les chairs. N’eût été la couleur de toile goudronnée ou de papier brûlé qu’elle avait prise, n’eût été l’odeur de naphte dont elle s’était imprégnée et qu’exhalaient tous ces linges épars autour de nous sur le sol, on aurait compris sans trop d’effort le sentiment qu’éprouve lord Evandale,

  1. Les textes, eux aussi, témoignent de la préoccupation à laquelle répondait l’embaumement avec ses pratiques si compliquées. Voir P. Pierret, le Dogme de la résurrection, etc., p. 10 : « Il faut, dit l’auteur, qu’aucun membre, qu’aucune substance ne manque à l’appel ; la renaissance est à ce prix. » Tu comptes tes chairs qui sont au complet, intactes (texte funéraire égyptien). — Ressuscite dans To-deser (la terre sainte ou de préparation, région où se prépare le renouvellement), momie auguste qui es dans le cercueil. Tes substances et tes os sont réunis à leur chair et tes chairs réunies à leur place ; ta tête est à toi, réunie sur ton cou, ton cœur est à toi. (Statue funéraire osirienne du Louvre.) Aussi le mort a-t-il bien soin de demander aux dieux : Que ne me morde pas la terre, que ne me mange pas le sol. (Mariette, Fouilles d’Abydos.) On dut donc travailler de bonne heure à conserver le corps autant que possible ; mais l’art de l’embaumeur n’a peut-être atteint sa perfection qu’à l’époque thébaine ; on se serait contenté, sous l’ancien empire, d’une préparation beaucoup plus simple. Voici ce que dit à ce sujet M. Mariette : « Il faudrait réunir plus d’exemples que je n’en ai pu trouver pour décider la question de la momification sous l’ancien empire. Ce qu’il y a de certain, c’est : 1° qu’il n’existe aucun morceau de linge de momie authentique de cette époque ; 2° que cependant les ossemens recueillis dans les sarcophages ont la couleur brunâtre des momies et qu’ils exhalent une vague odeur de bitume. Les sarcophages que nous avons trouvés vierges ne sont pas au nombre de cinq ou six. Chaque fois, à l’ouverture, nous avons constaté que le mort était à l’état de squelette. Quant au linge, nulle trace qu’un peu de poussière sur le fond du sarcophage, laquelle pouvait provenir de toute autre chose que d’un linceul réduit en poudre. » (Les Tombes de l’ancien empire, page 16.)