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rapidité de sa marche déconcertait par bonheur l’ennemi ; — les Macédoniens atteignirent les rives de l’Euphrate en onze jours. — Cyrus trouva tous les bateaux brûlés ; Alexandre semble avoir rencontré devant Thapsaque même les barques dont il se servit pour effectuer son passage. Napoléon n’a fait qu’imiter le roi de Macédoine, quand « il a battu, suivant l’expression des soldats de l’armée d’Italie, l’ennemi avec ses jambes. »

Darius avait eu près de dix-huit mois pour se mettre en mesure de tenter une seconde fois la fortune. Son armée, lorsque les Bactriens, les Scythes et les peuples compris sous la dénomination de peuples de l’Inde l’eurent rejointe, se trouva deux fois plus nombreuse qu’elle ne l’avait été aux jours du premier choc. Darius ne se dissimulait pas cependant la faiblesse de son infanterie ; il essaya de lui donner plus de solidité en lui faisant distribuer des épées et des boucliers : les fantassins d’Issus ne possédaient pour toute arme offensive que des épieux ou des javelots. Changer l’armement est fort bien ; il faudrait pouvoir du même coup changer l’instruction et la tactique. Sous le règne de Louis XV, on munit sans peine nos fusils de la baguette d’acier ; on troubla beaucoup nos soldats quand on entreprit de les faire manœuvrer de prime-saut à la prussienne. Darius n’était que trop fondé à mettre en doute l’efficacité de son innombrable pédaille, il pouvait au contraire faire grand fond sur sa cavalerie. « Les chevaux des Chaldéens sont plus légers que les léopards et plus rapides que les loups qui courent dans les ténèbres. » Cavaliers et chevaux se présentaient d’ailleurs bardés de fer, ou, pour mieux dire, couverts de minces plaques de métal cousues les unes à côté des autres. Ces lames imbriquées à la façon des tuiles qui recouvrent nos toits formaient une sorte de cuirasse écailleuse impénétrable à la flèche, si elle ne l’était pas complètement à l’épée. On allait donc voir entrer enfin en lice ces terribles Scythes que nul conquérant n’avait jusqu’alors réussi à dompter. Leur contenance féroce, leur poil hérissé, leurs longs cheveux épars, ne pouvaient manquer de faire quelque impression sur l’ennemi qui les verrait pour la première fois. Un peuple qui vit à cheval et qui ne connaît d’autre industrie que le pillage est éminemment propre aux reconnaissances rapides, aux surprises de jour ou de nuit. Darius s’était porté de Babylone vers les lieux où jadis s’élevait Ninive ; il avait mis deux fleuves, — l’Euphrate et le Tigre, — entre Alexandre et lui. Par surcroît de précaution, il employa sa cavalerie légère à ravager et à incendier tout le pays qui séparait encore les deux armées. Mazée, avec 6,000 chevaux, fut chargé de défendre le passage de l’Euphrate, à l’endroit où les armées ont pris l’habitude de franchir ce fleuve, au-dessus du confluent du