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de sa maîtresse, je veux dire la gloire, qui inspirait à M. Necker ce premier ouvrage, où l’on trouve cependant une exposition assez claire et complète de notre ancienne organisation financière. Mais c’était un sentiment moins personnel qui lui dictait, en 1785, son ouvrage sur l’Importance des opinions religieuses, ouvrage dont, au point de vue philosophique, l’argumentation et les conclusions sont peut-être un peu vagues, mais dont l’inspiration est profondément chrétienne. La sagacité de M. Necker sentait bien tout ce qu’il y avait d’étrange dans la prétention, ouvertement affichée par ses amis les philosophes, de commencer la réforme d’une société par la destruction de ses croyances et d’appeler un peuple à la liberté en renversant la plus solide des barrières qui puissent contenir ses écarts. Cette prétention, qui de nos jours s’affirme plus hardiment que jamais, trouvait déjà en M. Necker un vigoureux contradicteur. Il y a tel passage dans son ouvrage qui semble écrit d’hier et qu’on dirait à l’adresse des modernes sectateurs de la morale laïque et indépendante. « On n’entend parler, dit-il, depuis quelque temps, que de la nécessité de composer un catéchisme de morale où l’on ne ferait aucun usage des principes religieux, ressorts vieillis et qu’il est temps de mettre à l’écart. On attaquerait plus sûrement ces principes si l’on parvenait jamais à les présenter comme inutiles au maintien de l’ordre public et si les froides leçons d’une philosophie politique pouvaient tenir lieu de ces idées sublimes qui, par le nœud spirituel de la religion, lient les cœurs et les esprits à la plus pure morale. » Il faut croire que la rédaction de ce catéchisme présente quelques difficultés, puisque depuis un siècle qu’on s’en occupe, il n’est pas encore terminé. Souvent, le titre même de l’ouvrage, l’indique, c’est chez M. Necker l’homme public qui se préoccupe de l’influence de la religion et qui s’indigne à la pensée des consolations qu’on veut ravir « à cette classe infortunée dont la jeunesse et l’âge mûr sont dévorés par les riches et que l’on abandonne à elle-même quand le moment est venu où elle n’a plus de forces que pour prier et pour verser des larmes. » Mais parfois c’est une pensée plus vraiment philosophique qui l’anime, et le souci de la condition humaine lui inspire d’assez beaux passages en faveur de l’existence de la divinité et de la perpétuité de notre être. On me pardonnera de citer ici un morceau, un peu long peut-être, où l’auteur du Compte-rendu parle sur un ton d’émotion simple et sincère qui n’était pas commun de son temps :


On ne peut méditer profondément sur les merveilleux attributs de la pensée ; on ne peut arrêter son attention sur le vaste empire qui lui a été soumis ; on ne peut réfléchir sur la faculté qui lui a été donnée,