Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fixer le passé, de rapprocher l’avenir, de ramener à elle le spectacle de la nature et le tableau de l’univers, et de contenir, pour ainsi dire, en un point, l’infini de l’espace et l’immensité des temps ; on ne peut considérer un pareil prodige, sans réunir à un sentiment continuel d’admiration l’idée d’un but digne d’une si grande conception et digne de celui dont nous adorons la sagesse. Pourrions-nous cependant le découvrir, ce but, dans le souffle passager, dans l’instant fugitif qui compose la vie ? pourrions-nous le découvrir dans une succession d’apparitions éphémères, qui ne sembleraient destinées qu’à tracer la marche du temps ? pourrions-nous surtout l’apercevoir dans ce système général de destruction, où devraient s’anéantir de la même manière, et la plante insensible qui périt sans avoir connu la vie, et l’homme intelligent qui s’instruit chaque jour du charme de l’existence ? Ne dégradons pas ainsi nous-mêmes notre sort et notre nature, et jugeons, espérons mieux de ce qui nous est inconnu. La vie, qui est un moyen de perfection, ne doit pas conduire à une mort éternelle ; l’esprit, cette source féconde de connaissances et de lumières, ne doit pas aller se perdre dans les ombres ténébreuses du néant ; le sentiment, cette douce et pure émotion qui nous unit aux autres avec tant de charme, ne doit pas se dissiper comme la vapeur d’un songe ; la conscience, ce rigide observateur de nos actions, ce juge si fier et si imposant, ne doit pas avoir été destiné à nous tromper ; et la piété, la vertu, ne doivent pas élever en vain leurs regards vers ce modèle de perfection, objet de leur amour et de leur adoration. — Il y a donc, n’en doutons pas, quelque magnifique secret derrière tout ce que nous voyons ; il y a quelque étonnante merveille derrière cette toile encore baissée ; et de toutes parts, autour de nous, nous en découvrons les commencemens. Qu’on nous laisse seulement l’idée d’un Dieu ; qu’on ne nous enlève point notre confiance dans l’existence de ce souverain maître du monde, et c’est en nous unissant intimement à cette grande pensée que nous pourrons défendre nos espérances contre tous les raisonnemens métaphysiques auxquels nous ne serions pas préparés.


L’ouvrage de M. Necker, qui arrachait à Buffon mourant un dernier cri d’admiration, fut cependant reçu avec plus de respect que d’enthousiasme. Les conclusions de cet ouvrage étaient trop contraires à l’esprit de la société au milieu de laquelle il vivait et n’avaient rien qui pût plaire à des hommes dont un grand fonds d’insouciance composait presque toute la philosophie. Mais ceux-là même ne pouvaient méconnaître que l’esprit de M. Necker n’habitât une sphère singulièrement plus élevée que celle de ses adversaires politiques. De cette supériorité personne n’était plus convaincu que la propre fille de l’auteur. Germaine Necker, qui à cette date n’avait pas encore quitté le toit paternel, avait été mise par