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réserve. Pour donner à cette seconde ligne plus de consistance, Alexandre, aux trois corps de Cœnus, d’Oreste et de Lynceste, a jugé bon de joindre les troupes étrangères confiées à Polysperchon. L’infanterie de Cratère et les cavaliers thessaliens, soutenus par toute la cavalerie des alliés, constituent l’aile gauche, où commande Parménton. Alexandre a voulu se réserver le commandement de l’aile droite ; c’est de ce côté qu’il trouvera Darius.

La gauche de l’armée perse opposait aux hétaïres 14,000 cavaliers venus de la Bactriane, de l’Arachosie, de la Susiane et du pays des Massagètes. Son but était de déborder l’armée macédonienne. Alexandre déjoue cet espoir en appuyant obliquement sur la droite. Il se rapprochait ainsi des montagnes et, par cette marche diagonale que Darius n’avait pas prévue, évitait un terrain semé quelques jours auparavant de chausse-trapes : innocent stratagème qui lui fut, s’il faut en croire Quinte-Curce, dénoncé la veille de la bataille par un transfuge. Dès que la manœuvre d’Alexandre se dessine, les Perses à leur tour inclinent davantage vers la gauche. La cavalerie scythe engage la première l’action avec les éclaireurs qui devancent le gros des hétaires. Au même moment, Darius lance ses chars armés de faux contre la phalange. Lorsque Voltaire conseillait à la grande Catherine d’imiter sur ce point l’exemple de Darius Codoman et de faucher à l’assyrienne les bataillons du sultan Moustapha, il n’avait pas les détails de la bataille d’Arbèles bien présens à l’esprit et faisait, je ne crains pas de le dire, un puéril emprunt à l’antiquité. J’espère que mes flottilles renouvelées des Grecs révéleront chez moi un esprit plus pratique. Les Agriens font pleuvoir sur les conducteurs de chars une grêle de traits, es frondeurs les accablent de pierres ; ni les uns ni les autres n’arrêtent l’avalanche. Mais les rangs des Macédoniens se sont subitement ouverts ; quelques soldats seulement, trop lents à se garer, sont blessés par les piques qui prolongent les timons ou par les faux qui débordent les essieux.

Nous n’avons eu jusqu’ici que les préludes du combat. Voici enfin l’année tout entière de Darius qui s’ébranle. Ne va-t-elle pas noyer la petite troupe d’Alexandre dans les flots de poussière qu’elle soulève ? On dirait l’émeute d’une grande ville se ruant sur la ligne trop mince de baïonnettes qui s’efforce de la contenir. En ce moment, la mêlée sévit à l’aile droite, les Bactriens sont venus prêter main-forte aux Scythes. La troupe d’Arétès cède au choc et cherche un abri derrière la seconde ligne. Les Perses poursuivent cette cavalerie, qui se retire en désordre, et continuent de la charger avec fureur. Alexandre indigné se jette au milieu de ses soldats, leur prodigue les exhortations, les reproches et finit par les