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ramener à l’ennemi. L’échauffourée calmée, il retourne à la colonne massive des hétaïres. Là un coin formidable n’attend plus que ses ordres. C’est l’heure décisive de la journée. Alexandre donne à la fois le signal et l’exemple. Il fond sur Darius avec de grands cris, suivi de la phalange, qui arrive au pas redoublé. Ainsi Gustave-Adolphe, aux champs de Lutzen, ira au-devant des cuirassiers de Pappenheim. Alexandre pénètre au milieu de l’armée perse et pousse droit au char de Darius. Comme à Issus, un rempart de cavaliers se dresse sur son passage. Dans cette cohue confuse d’hommes et de chevaux, le roi de Macédoine se fraie une voie sanglante ; chaque coup de son épée élargit la brèche, les rangs se renversent les uns sur les autres, les cadavres s’amoncellent, Bucéphale broie sous ses sabots la chair meurtrie. Ce fut alors, dit-on, que le devin Aristandre, vêtu de la blanche tunique des prêtres, portant à la main une branche de laurier, montra aux soldats macédoniens une aigle qui, d’un vol paisible, planait au-dessus de la tête du roi. Ce présage de victoire est salué par mille acclamations ; formée à rangs serrés, bloc hérissé de fer, la phalange tombe alors sur le centre de l’armée perse. Tout ploie à l’instant sous cette effroyable pression ; une foule éperdue a entraîné Darius, les Macédoniens ne trouvent plus devant eux qu’un épais rideau de poussière.

La bataille est gagnée ! Elle est gagnée du moins à l’aile droite, car à l’aile gauche la fortune de la journée demeure encore singulièrement compromise. Mazée, avec sa cavalerie, a fait une charge impétueuse sur le flanc de Parménion ; les Indiens réunis aux Perses ont passé à travers la trouée qu’a laissée entre les deux ailes la marche en avant de la phalange. Un flot de cavaliers a pu se faire jour jusqu’aux bagages. Parménion perd la tête ; il ne se croit plus de force à résister seul. Pendant qu’il maudit en secret l’élan irréfléchi d’Alexandre, messagers sur messagers vont par ses ordres réclamer de l’aile droite un prompt secours. Comment ce vétéran des vieilles guerres de Thrace et d’Illyrie en est-il arrivé à manquer à ce point de sang-froid ? Son imagination frappée « s’est fait un tableau. » On sait que l’expression appartient à Napoléon, qui la répète souvent. Parménion a pris, comme le maréchal d’Estrées, un hourrah de uhlans pour une attaque sérieuse ; il a vu Sisygambis et les filles de Darius délivrées, les prisonniers en armes, ses derrières menacés, et, à l’instant même où sa pensée se forge ce prétendu péril, la seconde ligne a déjà fait volte-face, pris les Perses à dos et mis en fuite tout ce qu’elle n’a pas massacré. Mazée lui-même, dont, la grosse cavalerie avait ébranlé l’aile gauche de l’armée grecque, ne sait pas profiter de son avantage. Pourquoi d’ailleurs