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terrains, sauf à rentrer en possession de la moitié de ceux-ci par l’abandon de l’autre moitié ; mais une pareille disposition ne saurait être maintenue, car elle lèse à la fois tous les intérêts en cause.

Les habitans des montagnes, en effet, prétendent que„ puisqu’il s’agit de travaux d’utilité publique, ce n’est pas à eux d’en supporter les charges ; ils trouvent injuste qu’on les prive de la jouissance de leurs propres terrains pour protéger les riches populations des vallées, et réclament des indemnités pour le trouble qu’on jette dans leur existence. Sans être absolument fondées, ces plaintes n’en ont pas moins quelque chose de spécieux, et l’on comprend que les mesures arbitraires consacrées par la loi entretiennent une certaine irritation dans les esprits. D’autre part, si l’on se demande par quel moyen on pourra empêcher les communes et les particuliers de laisser ruiner de nouveau les forêts et les pâturages qui seront rentrés en leur possession, on est forcé de reconnaître qu’il n’y en a pas, et qu’on s’expose ainsi à avoir sacrifié en pure perte les efforts et les capitaux qu’aurait coûtés cette gigantesque opération.

Il n’y a que l’acquisition par l’état, à l’amiable ou par voie d’expropriation, des terrains compris dans les périmètres à reboiser qui puisse donner des résultats sérieux et résoudre pratiquement les difficultés en présence desquelles on se trouve[1]. C’est à cette conclusion que sont conduits tous ceux qui ont étudié la question d’un peu près, depuis M. Surell, qui, dès 1840, considérait l’œuvre du reboisement comme incombant tout entière à l’état, jusqu’à M. Tassy, qui, en 1877, publiait une brochure pour soutenir la même opinion[2].

Ainsi l’acquisition par l’état des terrains à reboiser et la réglementation du pâturage doivent être considérés comme les deux pierres angulaires de toute loi sur le reboisement des montagnes ; elles sont nécessaires, l’une pour arrêter les ravages des torrens existans, l’autre pour empêcher de nouveaux torrens de se former. En dehors de ces deux principes, il n’y a que des expédiens. On pourra bien, comme aujourd’hui, obtenir des résultats locaux, régénérer telle ou telle montagne, mais on n’aura pas fait une œuvre d’ensemble et digne d’un grand pays. Il faut d’autres moyens que ceux qu’on emploie pour rendre la prospérité aux sept départemens du sud-est, aussi bien qu’aux autres régions montagneuses

  1. De 1861 à 1879, il a été acquis par l’état dans les diverses régions montagneuses soit à l’amiable, soit par voie d’expropriation 11,536 hect. 10 au prix de 1,167,871 fr. 88, soit 101 fr. 23 par hectare.
  2. La Restauration des montagnes, par M. Tassy.