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toutes nos hésitations et à qui la logique des événemens donnait trop de bon sens pour qu’il se fît le complaisant naïf d’une révolution de palais où il eût tiré les marrons du feu pour ses adversaires. L’honnêteté patriotique, même au Mexique, si mélangée de corruption qu’elle y soit, a le don de voir bien et loin, et elle pouvait être certaine dès lors, en face des fautes de l’administration, de l’incapacité du chef suprême, de l’incertitude du maréchal dans ses plans, de la lassitude qui nous gagnait, de l’improbation générale qui accueillait en France cette expédition du Mexique si constamment vacillante en ses résultats, qu’au travers de luttes encore longues, elle arriverait à un succès définitif d’indépendance pour son pays.

Quoi qu’il en soit, ces illusions dont on se berçait furent logiques avec elles-mêmes. A partir de ce moment, l’attention des hommes qui pouvaient diriger les événemens se détourna du Sud, où ils voyaient une négociation et même une alliance possible, pour se porter vers le Nord, où le fantôme de l’intervention américaine se dressait plus menaçant chaque jour, où d’ailleurs le parti juariste était puissant et que prenaient pour but, avec une apparence de succès, les prétentions de l’ancien président Santa-Anna.

Il convient de signaler ici dans quel état inquiétant ou douteux on laissait le Sud pour courir aux éventualités dangereuses du Nord. Le Yucatan, sous l’administration habile et toute personnelle de M. Salazar, se détachait sensiblement de nous, sans nous être cependant ouvertement hostile. Les sympathies que nous avaient montrées Carmen et la lagune de Terminos s’éloignaient de notre cause avec un certain effroi de l’avenir. Tout se réunissait, du reste, pour nous les aliéner. Carmen était alors, avec une criante injustice, sacrifiée à Campêche par une de ces complaisances politiques résultant de l’incertitude générale où l’on était du lendemain. Dans presque tout le Mexique, les familles un peu influentes avaient la prudence de se partager entre les deux camps. Une moitié savait être impérialiste, l’autre dissidente. Ainsi, il y avait à Campêche un jeune Guttierez d’Estrada, membre du parti libéral, négociant riche, et qu’en sa qualité de Campêchois la prospérité de Carmen offusquait. Campêche, jalouse de Carmen, a toujours voulu l’avoir sous sa dépendance. Grâce à son nom, a la position d’une de ses sœurs, dame d’honneur de l’impératrice, le jeune Guttierez avait obtenu que Carmen ne reçût de marchandises étrangères que pour sa propre consommation. Les nombreux navires chargés de bois qui venaient à la presqu’île ne pouvaient donc apporter de cargaisons puisque Carmen n’aurait pas eu le droit de les écouler dans les environs. En revanche, si Carmen ne pouvait envoyer des marchandises à Campêche, Campêche pouvait lui en expédier autant et à peu près