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les montagnes, annonçant la fin du monde, administrant les sacremens et voulant entraîner ses disciples à Jérusalem. Sous Dèce, les montanistes fournissent au martyre un contingent considérable.

Nous raconterons ici une autre fois les embarras de conscience que les sectaires de Phrygie causeront aux confesseurs de Lyon, au plus fort de leur lutte. Partagés entre l’admiration pour tant de sainteté et l’étonnement que causeront à leur droit sens tant de bizarreries, nos héroïques et judicieux compatriotes essaieront en vain d’éteindre la discussion. Un moment aussi l’église de Rome faillit être surprise. L’évêque Zéphyrin avait déjà presque reconnu les prophéties de Montan, de Priscille et de Maximille, quand un ardent Asiate, confesseur de la foi, Epigone, dit Praxéas, qui connaissait les sectaires mieux que les anciens de Rome, dévoila les faiblesses des prétendus prophètes et montra au pape qu’il ne pouvait approuver ces rêveries sans démentir ses prédécesseurs, qui les avaient condamnées.

Le débat se compliquait de la question de la pénitence et de la réconciliation. Les évêques réclamaient le droit d’absoudre et en usaient avec une largeur qui scandalisait les puritains. Les illuminés prétendaient qu’eux seuls pouvaient remettre l’âme en grâce avec Dieu, et ils se montraient fort sévères. Tout péché mortel (homicide, idolâtrie, blasphème, adultère, fornication) fermait, selon eux, la voie au repentir. Si ces principes outrés fussent restés confinés dans les cantons perdus de la Catacécaumène, le mal eût été peu de chose. Malheureusement la petite secte de Phrygie servit de noyau à un parti considérable, qui offrit des dangers réels, puisqu’il fut capable d’arracher à l’église orthodoxe son plus illustre apologiste, Tertullien[1]. Ce parti rigoriste, qui rêvait une église immaculée et n’arrivait qu’à un étroit conventicule, réussit, malgré ses exagérations, ou plutôt à cause de ses exagérations mêmes, à recruter dans l’église universelle tous les austères, tous les excessifs. Il était si bien dans la logique du christianisme ! La même chose était déjà arrivée pour les encratites et pour Tatien. Avec ses abstinences contre nature, sa mésestime du mariage, sa condamnation des secondes noces, le montanisme n’était autre chose qu’un millénarisme conséquent, et le millénarisme, c’était le christianisme lui-même. « Qu’ont affaire, dit Tertullien, des soucis de nourrissons avec le jugement dernier ? Il fera beau voir des seins flottans, des nausées d’accouchée, des mioches qui braillent, se mêlant à l’apparition du juge et aux sons de la trompette. Oh ! les bonnes sages-femmes que les bourreaux de l’Antéchrist ! » Les

  1. Voir, dans la Revue du 1er novembre 1864, l’excellent travail de M. Réville sur Tertullien et le Montanisme.