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dans l’église de Rome, au grand scandale des rigoristes, qui s’en vengèrent par d’atroces calomnies. Le concile d’Iconium clôt le débat pour l’église, sans ramener les égarés. La secte ne mourut que très tard ; elle se continua jusqu’au VIe siècle, à l’état de démocratie chrétienne, surtout en Asie Mineure, sous les noms de phryges, phrygastes, cataphryges, pépuziens, tascodrugites, quintilliens, priscilliens, artotyrites. Eux-mêmes s’appelaient les purs ou les spirituels. Durant des siècles, la Phrygie et la Galatie furent dévorées par des hérésies piétistes et gnostiques s’égarant en des nuées d’anges et d’éons. Pépuze fut détruite, on ne sait à quelle époque ni dans quelles circonstances ; mais l’endroit resta sacré. Ce désert devint un lieu de pèlerinage. Les initiés y venaient de toute l’Asie-Mineure et y célébraient des cultes secrets, sur lesquels la rumeur populaire eut beau jeu à s’exercer. Ils affirmaient énergiquement que c’était là le point où allait se révéler la vision céleste. Ils y restaient des jours et des nuits dans une attente mystique, et, au bout de ce temps, ils voyaient le Christ en personne venir répondre à l’ardeur qui les brûlait.


III

Ainsi, grâce à l’épiscopat, censé le représentant de la tradition des douze apôtres, l’église opéra, sans s’affaiblir, la plus difficile des transformations. Elle passa de l’état conventuel, si j’ose le dire, à l’état laïque, de l’état d’une petite chapelle d’exaltés à l’état d’église ouverte à tous et par conséquent exposée à bien des imperfections. Ce qui semblait destiné à n’être jamais qu’un rêve de fanatiques était devenu une religion durable. Pour être chrétien, quoi qu’en disent Hermas et les montanistes, il ne faudra pas être un saint. L’obéissance à l’autorité ecclésiastique est maintenant ce qui fait le chrétien, bien plus que les dons spirituels. Ces dons spirituels seront même désormais suspects et exposeront fréquemment les plus favorisés de la grâce à devenir des hérétiques. Le schisme est le crime ecclésiastique par excellence. De même que, pour le dogme, l’église chrétienne possédait déjà un centre d’orthodoxie qui taxait d’hérésie tout ce qui sortait du type reçu, de même elle avait une morale moyenne, qui pouvait être celle de tout le monde et n’entraînait pas forcément, comme celle des abstinens, la fin de l’univers. En repoussant les gnostiques, l’église avait repoussé les raffinés du dogme ; en rejetant les montanistes, elle rejetait les raffinés de sainteté. Les excès de ceux qui rêvaient une église spirituelle, une perfection transcendante, venaient se briser contre le bon sens de l’église établie. Les masses,