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décision pût être acceptée par tous sans que la soumission ressemblât en rien à l’abdication d’un droit ? Le général Grant avait été l’interprète de tous les honnêtes gens du parti républicain lorsqu’il avait dit à l’occasion de cette crise : « Aucun homme digne de la présidence ne saurait consentir à l’occuper, s’il y était élevé par la fraude. Chacun des deux partis peut supporter d’être déçu dans ses espérances, mais aucun des deux ne peut consentir à l’emporter à l’aide de résultats sur lesquels pèserait le soupçon de relevés illégaux ou frauduleux. » C’était là le langage de la droiture et de l’honnêteté ; mais où était l’autorité qui prononcerait sur les questions en litige entre les deux partis ? La constitution fédérale n’a rien prévu pour la vérification des opérations électorales : le sénat n’est investi d’aucun droit de contrôle sur les votes qui lui sont transmis, sous la forme de bulletins cachetés, par les gouverneurs des états. L’opinion la plus accréditée parmi les jurisconsultes ne lui attribue qu’un simple pouvoir déclaratif ; c’est-à-dire que sa fonction se borne à ouvrir les bulletins de vote en séance publique et à constater officiellement le nombre des suffrages obtenus par les candidats, sans qu’il puisse se faire juge de la validité des suffrages exprimés. Néanmoins, pendant la guerre civile et par un simple ordre du jour, le sénat avait établi comme règle que, lorsque le vote d’un était donnait lieu à contestation, il ne pouvait être rendu valable que par une décision conforme des deux chambres. Il suffisait donc, pour que le vote d’un état ne fût pas compté, que la majorité d’une des deux chambres se prononçât pour son annulation. A l’abri de cette jurisprudence, lors de la seconde élection du général Grant, le sénat avait tenu pour non avenus les votes de l’Arkansas parce que les bulletins de vote lui avaient été transmis sous un pli scellé du cachet personnel du gouverneur et non du sceau de l’état. Or il avait été établi, après l’élection, que l’état d’Arkansas n’avait ni armoiries ni sceau officiel et que, de tout temps, on y avait procédé de la façon que le sénat avait déclarée irrégulière. La majorité obtenue en 1872 par le général Grant était tellement considérable que l’admission ou le rejet des votes de l’Arkansas ne pouvait avoir aucune influence sur le résultat définitif. Néanmoins, dès cette époque, les jurisconsultes se préoccupèrent des conséquences éventuelles d’une jurisprudence dans laquelle ils ne pouvaient s’empêcher de voir une véritable usurpation.

En présence du silence absolu de la constitution, quelle pouvait être la valeur légale d’une simple décision du sénat ? Le pays se soumettrait-il à une jurisprudence créée dans une époque de lutte et de trouble pour satisfaire les passions d’un parti disposant alors d’une force irrésistible ? Où conduirait d’ailleurs l’application de cette jurisprudence, les deux chambres étant animées de sentimens