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fallait des exemples, je n’aurais qu’à étendre la main : ainsi, dans un roman tout moderne, cette vulgaire basse-cour qui, par la seule intervention de l’idée, va se transformer en un paradis terrestre dont telle rustique péronnelle, qui rêve en plein midi sur un tas de foin, inconsciente de ses quinze ans, se réveillera l’Eve éblouissante. L’auteur de ces vigoureuses pages, colorées et poétiques comme du Gautier se croît un pur naturaliste ; nous dirons, nous, que c’est un romantique. Prêcher l’imitation de la nature et la théorie des milieux, mais le siècle, depuis qu’il existe, n’entend que cette ritournelle, qui déjà du vivant de Diderot n’était point neuve ; par exemple, c’est mieux comprendre l’esprit de notre temps que de chercher à constituer un art qui lierait commerce avec la science. Poètes et romanciers, nous en sommes encore vis-à-vis de la nature à l’état primitif de rêveurs et de promeneurs solitaires. Elle est pour nous moins un sujet d’observation qu’un motif de vibration : invoquer la lune et les étoiles, chanter le lac, la forêt, l’Océan, à la bonne heure ! des impressions tant qu’on en voudra, le reste importe peu. Que savons-nous de la botanique, de la zoologie, de la physique ? Nous pressentons, nous sentons la vie, nous ignorons ses lois, et quand il nous arrive de vouloir faire parler les fleurs, les arbres, les animaux et les nuages, nos chants ne sont jamais que l’écho de nos spéculations esthétiques.

Le romantisme eut le tort de tout donner au sentimental, au pur lyrisme. Pour lui, ce qui a un but, ce qui peut servir ne compte pas ; la fleur est poétique, le fruit l’est moins. Aux générations nouvelles de greffer le fruit et de l’amener à maturité en usant de la méthode moderne et de l’information scientifique. Une période de quelques années ne saurait tout accomplir ; celle qui va nous occuper et qu’une révolution vint brusquement interrompre au plein de son travail, a remanié, vivifié la langue, et l’on a pu dire qu’il ne s’écrit pas actuellement une ligne et qu’il ne se fait pas un vers qui ne lui doive tribut. Retournons à ce passé, l’intervalle qui nous en sépare convient juste à notre perspective ; ce n’est ni trop, ni pas assez ; d’où cependant on aurait tort de conclure que, pour n’avoir pas précisément besoin d’être vus à distance de siècles, les hommes et les choses de ce moment en soient moins dignes de saisir notre attention. L’intérêt, au contraire, n’en sera que plus vif ; car nous aurons à toucher bien des points curieux et délicats, à classer, à réviser sur nouveaux frais ; tâche difficile, mais point ingrate. Tous ces Ajax, tous ces Achilles de l’épopée romantique, nous les avons connus, leurs combats, leurs victoires et jusqu’à leurs défaites nous sont des souvenirs d’enfance. On peut les critiquer, mais, quelques erreurs qu’on leur reproche, un