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éloge leur revient, rare dans tous les temps et presque impossible à décerner dans le nôtre : ils ont cru à ce qu’ils faisaient.


I

Vous êtes-vous une seule fois posé cette question : « Qu’est-ce, après tout, que le romantisme ? » Il fut un temps où traduire Shakspeare, Cervantes, Calderon, suffisait pour l’investiture ; était romantique de droit quiconque s’inspirait de l’esprit du moyen âge, composait des ballades dans le style du Romancero, déclarait la guerre aux bourgeois et se gaudissait à pourfendre les philistins ; aujourd’hui encore, que de gens, confondant les mots, attribuent au romantisme les inventions du romanesque, tout ce qui s’éloigne de la vie ordinaire, invraisemblances, étrangetés, coups de théâtre, enlèvemens, horreurs et fantasmagories, tandis que d’autres emploient ce terme à la manière de Mme de Staël pour signaler un paysage ou caractériser un talent ! Tel site sauvage avec des ruines est romantique ; la Malibran, Marie Dorval, Sarah Bernhardt sont romantiques. Nous en avons aussi connu bon nombre qui n’ont jamais pardonné au romantisme tant d’inepties commises en son nom : mythes, contes, visions, poésie dynamisée du brouillard et du sentimentalisme, comprenant le merveilleux de tous les temps et de tous les pays. Lisez la préface de Jean Sbogar, et vous y verrez ce que, vers 1820, les hommes à la tête du mouvement entendaient par ce mot de romantisme. Il est vrai que Charles Nodier, en poésie comme en politique, ne fut guère jamais qu’un tirailleur paradoxal. Lettré parfait, grand amateur de variétés intellectuelles, tantôt c’est un point de grammaire qui l’intéresse, tantôt c’est une question de zoologie, et qu’il s’occupe de la botanique ou de la syntaxe, qu’il épluche des mots ou des herbes, son sourire ne le quitte pas, ce doux sourire si humain qui semble vous dire qu’en fait de certitudes la moins incertaine est de douter. Esprit futé, cœur excellent, Nodier mêlait à sa littérature je ne sais quelle fleur de persiflage ; non content de se moquer ingénument de son lecteur, il aimait parfois à se mystifier lui-même, et cela d’un air si plein de bonhomie qu’on était tenté de le défendre contre les propres tours qu’il se jouait. Les périodes de transition ont de ces originaux.

L’auteur de Smarra et de la Fée aux miettes n’était point un créateur, c’était un dilettante à la recherche du nouveau et qui, ne trouvant pas en soi de quoi réaliser son rêve, se retournait méthodiquement du côté de l’érudition et de la critique. Si nous voulons des manifestes, Victor Hugo et Beyle nous en fourniront. Selon