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Gondinet ne s’appauvrit guère. Mais n’est-il pas à souhaiter qu’un talent si fin, si ingénieux, si aimable, s’emploie, plutôt qu’à des vaudevilles, à des comédies de caractère ou tout au moins de mœurs ? Je disais tout à l’heure que peu importe la nouveauté ou la richesse du cadre : encore vaut-il mieux que ce cadre ne soit point tortu et biscornu. Il faut tricher pour introduire, comme a fait M. Gondinet, une somme raisonnable d’observation dans la forme du vaudeville : combien il serait plus à l’aise s’il choisissait d’emblée une forme de comédie ! Son œuvre aussi aurait plus de chances de durée : elle se tiendrait d’ensemble, au lieu de tromper l’œil quelque temps par l’apparence d’ingénieux détails. Saupoudrer de comique un sujet qui ne l’est pas se trouve être, à la longue, un métier de dupe, une tâche ingrate. Certes je ne demande pas que M. Gondinet se guinde à ce genre qui, de nos jours, se donne volontiers pour celui de la haute comédie, et que j’appelle, moi, du vaudeville pathétique. Il a mieux à faire, ayant ce don, si rare à présent, de la gaîté. Je n’ai garde d’oublier quel service nous a rendu, en perpétuant la gaîté nationale, cette comédie moyenne dont M. Labiche, MM. Meilhac et Halévy et M. Gondinet lui-même nous ont donné de si charmans exemples. Elle est parfois, cette comédie, un peu voisine de la farce. Le grand mal, en vérité ! La farce est bonne Française ; et d’ailleurs, si l’on s’efforce de nous incliner vers elle, n’ayez peur : ce n’est pas de ce côté-là que nous tomberons. Le siècle est morose en diable ; voyez : à l’hippodrome et au cirque, l’Auguste en habit noir supplante le clown en maillot rose. Il y a cent ans déjà, ce pimpant Beaumarchais, dont nous parlions le mois dernier, trouvant qu’il se faisait un trop large vide entre les parades du boulevard et la haute, très haute et très froide comédie, Beaumarchais s’efforçait de ragaillardir le public en mêlant à son Barbier de Séville d’impertinentes joyeusetés ; et comme la jeune première chargée du rôle de Rosine, Mlle Doligny, refusait de chanter une ariette, en alléguant la dignité de la maison, il l’introduisait, cette ariette, dans le Compliment de clôture, où le rôle était tenu par Mlle Luzzi, une soubrette, et il faisait dire par Bartholo : « Le public n’aime pas qu’on chante à la Comédie-Française ; » à quoi Rosine répondait sans se troubler : « Oui, docteur, dans la tragédie ! Mais depuis quand faut-il ôter d’un sujet gai ce qui peut en augmenter l’agrément ? Allez, messieurs ; le public aime tout ce qui l’amuse ! » Oui, je vous jure, le public aime tout ce qui l’amuse ; et il l’aime d’autant plus qu’il s’amuse plus rarement, et que nous nous sommes, depuis un siècle, attristés davantage. Le Français est devenu l’animal politique, pathétique, raisonneur et sentimental, qui vote et qui spécule, tue sa femme infidèle et noircit d’eaux étrangères le bon vin de son pays. Il n’en a que plus de gratitude pour qui le tire, un beau soir, de sa méchante humeur. Mais, comme en fin de compte, il a encore le goût bon, il sait discerner, à l’occasion, la qualité de son