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divertissement : s’il préfère Divorçons aux Bourgeois de Pont-Arcy, et le Monde où l’on s’ennuie à Hélène, c’est-à-dire une pièce gaie à une pièce qui se prétend mal à propos émouvante, il sait pourtant que le Voyage de M. Perrichon est supérieur à la Cagnotte, la Petite Marquise à Tricoche et Cacolet, le Panache au Voyage d’agrément, c’est-à-dire une comédie à un vaudeville ; et même il ne se plaindrait pas si les auteurs de ces comédies-là se haussaient plus souvent à un genre non moins gai, mais un peu plus noble, s’ils lui donnaient des dessins aussi spirituels que ces croquis, des tableaux aussi amusans que ces esquisses, s’ils cherchaient, par un choix plus sévère et par un plus grand souci du style, un profit plus durable de leurs observations, — s’ils avaient, en un mot, le courage de leur talent.

Ainsi ce Voyage d’agrément nous ramène aux mêmes conclusions que le Prêtre. M. Gondinet réussit où M. Durantin a échoué, tout comme M. Buet où tant de dramaturges se sont perdus ; et tous les deux réussissent justement par les mêmes raisons ; et tous les deux peuvent réussir avec un bien autre éclat, s’il se laissent guider seulement par la faveur du public, s’ils négligent davantage les combinaisons d’événemens, s’ils se donnent tout entiers à la peinture des caractères et des mœurs. Le spectacle d’une âme, à travers la lorgnette du dramaturge ou du comique, nous intéresse bien plus que celui d’un coup de dés. Périsse le vieux drame, ou plutôt le mélodrame, et périsse le vaudeville ! Vivent le drame humain et la comédie humaine ! Rien de ce qui est de l’homme ne nous est étranger, ni ses passions, ni ses ridicules : l’étude d’un sentiment ou d’un travers nous tient plus au cœur que la recherche d’une situation. M. Ludovic Halévy a raconté, dans une étude sur Cham, l’effarement de cet aimable artiste alors qu’il essayait de collaborer avec Clairville : « Apprenez, disait sévèrement l’auteur de tant de scénarios cocasses, apprenez que les pièces de théâtre ne se font pas avec de l’esprit, mais avec des situations ! » Soit ! il faut une situation pour établir une pièce, et une situation comique pour y fonder une comédie, mais nous commençons ou plutôt nous recommençons à croire que la découverte des situations n’est pas le but de l’art dramatique. Aussi bien c’est une découverte dont la possession est précaire ; il n’est de biens personnels au théâtre, comme dans toute la littérature, que l’observation et le style qui la consacre. Le moule à gaufres est banal, au vieux sens du mot : la pâte seule appartient à quelqu’un. Et s’il fallait de cette vérité une preuve toute récente, la reprise d’une pièce de Dumas père viendrait à point nous la fournir ; c’est de Madame de Chamblay que je parle, représentée le mois dernier au Gymnase.

Cette pièce est à peu près la dernière de son auteur : la griffe du lion s’y reconnaît encore, mais du lion vieillissant. Peu de spectateurs l’avaient vue, en 1868, au théâtre Ventadour et à la Porte-Saint-Martin ; encore l’avaient-ils presque oubliée. M. Dumas fils, pour cette reprise, a cru de voir l’alléger ; il a réuni en un seul le deuxième et le troisième