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devait être une maison d’agrément, un lieu de repos ; or était-il rien qui pût être mieux approprié à ces fins que des édifices légers et spacieux, situés hors de la ville, au milieu de jardins amples et touffus, sur le bord du Nil ou de l’un des mille canaux qui en portaient l’onde jusqu’aux limites du désert ? Des balcons, des galeries hautes, des terrasses couvertes, l’œil se promenait sans obstacle sur les plantations voisines, sur le cours du fleuve et sur les campagnes qu’il arrosait, sur les montagnes qui bornaient l’horizon. Les chambres avaient de larges fenêtres ; des volets mobiles, que l’on distingue dans certaines peintures, permettaient d’ouvrir l’appartement à l’air et à la lumière, ou d’y faire la nuit pendant les heures chaudes de l’après-midi. Cette ombre qui, dans les pays d’ardent soleil, est le plus délicieux de tous les biens, on la trouvait encore, à l’extérieur, sous les sycomores et les platanes, autour des bassins où s’épanouissaient les brillantes corolles du lotus ; on la trouvait, embaumée d’odeurs printanières, sous les berceaux de feuillage et les treilles chargées de fruits, ou dans ces kiosques ajourés qui se dressaient, de place en place, sur la rive des étangs. Là, derrière l’abri de haies épaisses et de murs discrets, le roi pouvait appeler à lui son harem, jouir des ébats de ses jeunes enfans et de la beauté de ses femmes. Là, ses campagnes finies, un Thoutmès ou un Ramsès s’abandonnait paresseusement à la douceur de vivre, sans vouloir se souvenir des fatigues de la veille ni penser aux soucis du lendemain ; comme on dirait aujourd’hui en Égypte, il faisait son kief.

Pour cette architecture dans laquelle tout, ensemble et détails, était combiné en vue des jouissances de l’heure présente, on n’avait pas besoin de la pierre ; c’était pour la tombe, c’était pour les temples des dieux, pour ce qui devait durer éternellement, qu’il fallait compter sur l’épaisseur et la solidité du calcaire, du grès et du granit. Le palais n’était qu’une tente dressée pour le plaisir ; il ne réclamait pas d’autres matériaux que le bois et la brique. C’était affaire ensuite au peintre et au sculpteur d’en couvrir toutes les parois de couleurs vives et de riantes images ; c’était à eux de faire resplendir partout, sur les enduits des murs, sur les planches d’acacia, sur les minces colonnettes de cèdre ou de palmier, l’éclat des tons joyeux qui garnissaient leur palette et les reflets brillans de l’or. Le luxe de la décoration était ici le même que dans la tombe et le temple ; la différence était dans le caractère de l’architecture et, par suite, dans ses chances de durée. Eux aussi, dans leur genre, ces édifices étaient tout à fait dignes de la puissance et de la richesse des souverains qui les ont bâtis pour les habiter ; mais on comprend qu’avec un pareil mode de construction ils aient