Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/697

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est pas mort, et elle sent bien que le jour où elle renoncerait à l’Inde, elle serait amoindrie et déchue aux yeux du monde. La France est plus intéressée encore à la conservation de sa colonie. Si elle venait à l’évacuer, il se trouverait bientôt quelqu’un pour l’y remplacer, et elle sait que l’Algérie fait face aux côtes du Languedoc et de la Provence, qu’il n’y a que 750 kilomètres de la plage africaine à Marseille. Elle ne se dessaisira point de sa conquête, et il faut souhaiter qu’elle la fasse de plus en plus prospérer en se défiant également de l’esprit de routine et de l’esprit d’aventure. Sir Richard Temple engage les puissances qui ont des colonies à se bien pénétrer de la maxime : Festina lente, — ce qui signifia qu’elles doivent joindre la prudence à l’activité, l’amour du progrès à la circonspection.

Ce qu’il faut admirer surtout dans la politique coloniale des Anglais, c’est le compte exact qu’ils tiennent des lieux et des temps, des circonstances et des situations. Ils ont de la méthode, ils n’ont pas de système ; ils ont des principes, mais de tous leurs principes l’opportunité est celui qui leur tient le plus au cœur. C’est par degrés, c’est peu à peu que le règne de la loi a été substitué dans l’Inde au régime personnel et que le droit écrit a pris pied dans les états fraîchement annexés, qu’on appelait les provinces de non-régulation et qui étaient remises à la discrétion du pouvoir exécutif. En ces matières l’Anglais n’a pas de parti-pris ; il procède en pays nègre autrement que dans l’Australie ou dans ses possessions asiatiques. Les majorités noires ne lui font pas peur ; il a jugé utile de conférer les droits politiques aux Cafres, aux Bassoutos, aux Criquas ; il ne les a pas accordés aux Indous, il leur refuse ces institutions représentatives qu’ils ne cessent de convoiter. La législature suprême, établie en 1861, de même que les législatures secondaires qui servent de conseils aux gouvernemens locaux de Madras, de Bombay et du Bengale, se composent de fonctionnaires auxquels on adjoint des assesseurs européens ou natifs qui sont désignés et ne sont pas élus.

On sait si la liberté de la presse est chère au cœur de tout Anglais. Cependant, quelques feuilles indigènes ayant publié des articles qui provoquaient au mépris des autorités constituées, un acte fut passé à Calcutta, qui autorisait les gouverneurs à supprimer toute publication dangereuse. Un peu plus tard, on s’aperçut que le drame historique était fort goûté des Indous et leur procurât d’assez vives émotions. Il y a des théâtres dans les principales villes, les troupes sont passables, la salle est toujours pleine et le parterre prend facilement feu. En 1876, la législature décida que les théâtres seraient soumis dorénavant au contrôle et au bon plaisir du gouvernement. On sait aussi combien les Anglais sont peu portés à humilier la toge devant l’épée ; jamais pourtant l’idée ne leur est venue d’exclure tout militaire du service civil et de l’administration. « Le gouvernement de l’Inde, nous dit sir Richard