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idée que les autres nations. » Du moment que leurs dieux étaient les mêmes que ceux de la Grèce et de Rome, il n’y avait aucun motif de les proscrire. Aujourd’hui ils nous paraissent très différens, et il nous semble qu’il fallait mettre une grande complaisance pour les confondre. Dans un de ses dialogues les plus amusans, Lucien, dépeignant une assemblée de l’Olympe, y montre des dieux à l’aspect barbare, scythes où persans, qui ne peuvent rien dire, qui ne savent où se mettre et paraissent fort dépaysés à côté de ceux de la Grèce. Il aurait pu y joindre les dieux gaulois, qui devaient faire aussi une figure étrange dans la divine assemblée. C’est un Jupiter fort singulier que ce Taranis, avec son grand marteau, sa petite tunique, sa mine farouche, et il faut avouer qu’il ne ressemble guère à celui d’Olympie. Il y a pourtant, au musée de Saintr-Germain, des dieux plus bizarres encore ; quelques-uns sont accroupis, comme les divinités de l’Inde, d’autres ont trois têtes, d’autres portent une ramure de cerf[1]. On les honorait pourtant très pieusement à côté des dieux élégans de la Grèce, des divinités graves du Latium, de Sérapis, de Mithra, dont le culte avait été apporté de l’Orient par d’anciens soldats des légions. Tout ce monde de divinités diverses vivait en bon accord, sous la protection de Rome. Non-seulement elle ne songeait pas à les persécuter, mais M. Al. Bertrand est tenté de croire qu’elle traita les dieux gaulois avec une faveur particulière. Il fait : remarquer avec raison qu’on n’a découvert jusqu’ici aucune de leurs images, grande ou petite, dans les tombeaux, dans les oppida qu’on a fouillés en si grand nombre depuis vingt-cinq ans et où l’on trouve tant de choses. Ils existaient pourtant alors et ne sont pas nés tout d’un coup après la conquête ; mais il faut croire qu’à y avait quelque influence contraire qui paralysait leur culte. Cette influence, M. Bertrand n’hésite pas à croire que c’était celle des druides ; il suppose que pour quelque raison que nous ne savons pas ils étaient ennemis de cette mythologie populaire et que, tant qu’ils l’ont pu, ils en ont arrêté l’élan ; mais une fois que l’autorité de ces maîtres des consciences ne se fit plus sentir, on se porta avec ardeur vers les divinités négligées, et Rome fut favorable à cet épanouissement de la religion populaire. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse ingénieuse, il est certain que, si Rome n’a pas protégé

  1. On remarquera aussi à Saint-Germain un grand nombre d’images d’Epona, la déesse protectrice des chevaux, représentée par une femme assise sur une jument vigoureuse. Ce culte avait passé de la Gaule en Italie, et nous savons qu’à Rome, dans les écuries des amateurs, il y avait toujours une figure d’Epona. Les déesses mères (Matres ou Matronœ) sont aussi assez nombreuses. Elles portent un enfant sur les genoux, dans l’attitude que le christianisme donnera plus tard à la vierge Marie. Voyez, sur ces divinités, l’Esquisse de la religion des Gaulois, par M. H. Gaidoz.