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particulièrement la religion gauloise, elle ne l’a jamais combattue. Ce n’était pas sa politique d’essayer de convertir à ses croyances les peuples qu’elle avait soumis. Elle leur laissait leurs dieux et ne cherchait pas à leur imposer les siens. C’est ce qui lui rendit la conquête du monde plus facile : quand les animosités nationales se compliquent de haines religieuses, il est presque impossible de les vaincre : nous le voyons bien en Algérie. Au contraire, la tolérance des Roumains disposait les peuples à la soumission : dans un temps où la religion touchait de si près à la nationalité, les vaincus qui n’avaient pas perdu leurs dieux ne semblaient pas être tout à fait vaincus ; comme on leur épargnait, ce qu’il y a de plus grave dans la défaite, ils s’y résignaient avec plus de facilité.

Un autre motif, le plus puissant peut-être, qui rattachait les vaincus aux Romains, c’est qu’ils étaient sûrs de vivre en repos sous cette domination énergique. La paix romaine, si souvent célébrée dans les inscriptions et sur les médailles, était en somme un grand bienfait dont on n’avait guère joui jusque-là, et ce qui l’assurait au monde, c’étaient ces légions qu’Auguste avait répandues dans les principales provinces de l’empire. Aussi M. Bertrand a-t-il consacré la vingtième salle du musée au souvenir des légions romaines qui défendaient la Gaule. Elles ne résidaient pas alors dans les villes importantes comme nos régimens d’aujourd’hui. Le pays n’avait pas besoin d’être gardé à l’intérieur. Quelques troupes de policé municipale, une cohorte ou deux avec le gouverneur, plus pour relever sa dignité que pour empêcher aucun mouvement, suffisaient à tout. Le prestige de Rome maintenait tout dans l’ordre. Pendant ce temps, les soldats vivaient dans les camps, à la frontière, en face des ennemis du dehors. Il est donc naturel que les monumens qui nous restent d’eux aient été trouvés sur les deux rives du Rhin et qu’ils soient en général conservés dans les musées de l’Allemagne. M. Bertrand en a fait prendre des reproductions fidèles, afin qu’il restât chez nous quelque souvenir de ces vaillantes troupes qui, pendant quatre siècles, ont protégé nos pères contre les invasions des Germains. Le plus ancien de ces monumens, et l’un des plus curieux, est l’image de ce centurion de la treizième légion, dont la poitrine est couverte de décorations militaires et qui tient à la main l’insigne de son commandement. Au-dessous de son portrait, on lit ces mots : « Il est mort pendant la guerre de Varus : Cecidit bello Variano. » Auprès des inscriptions qui concernent les légionnaires, on a placé celles des officiers des troupes auxiliaires que Borne levait parmi les peuples soumis et qui servaient, à côté des légions. Il y en a de tous les pays, des Espagnols, des Scythes, des Daces et même des Germains, qui n’hésitaient pas à combattre leurs