Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/755

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les raisonnemens des historiens quels moyens a pris Rome pour faire supporter sa domination au monde et comment elle l’a gardé après l’avoir conquis.

Ici s’arrête l’œuvre de M. Al. Bertrand. Il ne lui reste plus, pour la compléter, que d’atteindre l’époque de Charlemagne. En attendant qu’il puisse le faire, il faut le féliciter d’avoir conduit presque sans interruption notre histoire nationale depuis ses premières origines jusque vers la fin de l’empire romain et à la veille de l’invasion des barbares. C’est un grand service qu’il nous a rendu. Quelques personnes pourront prétendre que c’est remonter bien haut que de prendre la France à l’âge de pierre et que ce passé lointain ne peut guère avoir d’intérêt pour nous. Les Allemands sont d’un autre avis ; ils ne négligent dans leurs écoles aucune période de leurs annales, si reculée, si obscure qu’elle soit. Ils tiennent à tout et ne veulent rien laisser perdre. Ils se passionnent pour leurs ancêtres les plus antiques, les moins connus, pour Arminius, pour Conradin, et ils estiment que le patriotisme se compose de tous ces souvenirs accumulés. Pourquoi ne suivrions-nous pas leur exemple ? Il nous est d’autant plus aisé de le faire que notre pays est peut-être celui qui, au fond, a le moins changé et où le présent et le passé se relient le plus aisément ensemble. L’histoire de France est la plus logique de toutes, celle où les événemens s’enchaînent le mieux l’un à l’autre. Les plus surprenans en apparence, les moins attendus, comme la révolution, ont été lentement préparés pendant des siècles, en sorte qu’il nous est plus nécessaire qu’à personne de regarder au loin derrière nous pour comprendre ce qui se passe à nos côtés. Ne nous plaignons donc pas qu’on nous ramène trop en arrière : la France a commencé beaucoup plus tôt que nous ne le pensons, et aucune époque de son existence orageuse ne doit nous être indifférente. Dans nos plus anciens aïeux nous pouvons nous retrouver nous-mêmes ; ils ont déjà nos défauts et nos qualités, et ce n’est qu’en les connaissant que nous arriverons à nous bien connaître.


GASTON BOISSIER.