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compatriotes. On verra que, sur leur tombe, ils se faisaient volontiers représenter à cheval, écrasant un ennemi vaincu. Cette attitude triomphante flattait sans doute leur vanité.

La Gaule vivait donc en paix, protégée par les légions. Avec la paix, le commerce, l’industrie, prirent une extension rapide ; le bien-être se répandit dans les classes inférieures. Au-dessous de cette aristocratie de naissance ou de fortune, qui occupait dans tous les municipes les emplois publics et de temps en temps quittait la province pour aller briller à Rome, il se forma une sorte de bourgeoisie composée d’hommes partis des rangs les plus bas, d’ouvriers, d’affranchis, que le travail avait conduits à l’aisance ou à la richesse. Devenus magistrats ou protecteurs de leurs collèges, puis sévirs augustaux, ils tenaient un certain rang dans leurs quartiers et quelquefois même dans la ville entière. M. Al. Bertrand a cru devoir leur consacrer la vingt-unième salle du musée. Il y a placé des tombes de petits personnages, de gens de métier, qui se sont fait représenter dans l’exercice de leur industrie. Quelques-uns sont dans leur boutique même, prêts à servir la pratique et levant la main vers les étagères pour prendre quelque objet qu’on vient acheter. Il y a des foulons, des drapiers, des sabotiers, des charcutiers (negotiator lardarius), des maçons portant la truelle, des forgerons avec leur marteau et un marchand de comestibles, dont on dit qu’il était un fort honnête homme, homo probissimus. On y voit des négocians en vin, qui dès cette époque, faisaient très vite fortune, et des membres de la corporation puissante des bateliers, chargés des transports sur les grands fleuves : l’un d’eux s’est fait représenter sur sa tombe avec sa femme ; il est en costume de travail, couvert d’une simple tunique, mais sa femme a revêtu ses plus belles parures. Ces bas-reliefs funéraires, qu’on pourra aisément multiplier, font revivre pour nous ce petit monde laborieux d’industriels et de commerçans qui mérite bien un souvenir. C’est déjà ce tiers état modeste et sensé qui, sous tous les régimes, a fait la fortune de la France. N’oublions pas qu’il est né, qu’il a grandi grâce à la protection de Rome. Quand César entra en Gaule, le peuple y était tenu dans une sorte d’esclavage, servorum loco ; il se releva sous l’empire : les monumens qui remplissent la vingt-unième salle montrent qu’il dut au gouvernement nouveau d’arriver à l’aisance et de tenir un certain rang dans l’administration de la cité. Il est naturel qu’il se soit attaché à ce régime, et nous ne devons pas être surpris qu’il ait peu regretté l’indépendance turbulente qui précéda la conquête et dont les nobles seuls profitaient. Ces monumens sont donc comme un commentaire vivant de l’histoire, et j’avais raison de dire qu’une visite au musée de Saint-Germain fait mieux comprendre que