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et le courage grossier se confondent : à peine les distingue-t-on chez certains animaux comme le bouledogue, ou chez le sauvage, courageux dans la mesure même où il est fort. La force physique est de l’énergie morale en germe : si vouloir, c’est pouvoir, ne peut-on dire avec autant de raison que pouvoir beaucoup, c’est se sentir excité à vouloir beaucoup ? Aussi l’homme a-t-il fait en général de la force physique le symbole expressif de la volonté puissante ; à tort ou à raison, nous nous sommes accoutumés à établir partout une harmonie entre le physique et le moral ; nous nous figurerions difficilement Brutus ou Caton sous des traits mignards ; la sculpture représente Moïse avec une haute taille et des muscles en saillie. Les Samson et les Hercule sont tout ensemble des types de force, de courage et de bonté. La force, adorée par l’humanité primitive, a été non sans quelque raison considérée comme la première vertu, source de beaucoup d’autres ; elle implique d’ailleurs quelque chose de surhumain, et à ce titre encore appelle le respect. Elle a acquis ainsi une valeur expressive, qui entre aujourd’hui comme élément essentiel dans sa beauté. L’ordre ou le rythme, seconde qualité du mouvement, est plus expressif encore ; par lui le mouvement, devenu régulier, offre prise à l’intelligence et semble lui-même la manifester. Le rythme n’est pas seulement, comme on l’a montré, la conséquence de la continuité du mouvement et de la persistance des forces, il est encore le signe de la persévérance du vouloir, et son harmonie symbolise à nos yeux l’accord de la volonté avec soi. Quant à la grâce, elle est bien autre chose que la simple économie de la force, seule définition que M. Spencer en ait donnée : elle exprime essentiellement, elle aussi, un état de volonté. Remarquons-le en effet, chez les êtres vivans, les mouvemens gracieux sont toujours plus ou moins associés à la joie et à la bienveillance, deux sentimens voisins l’un de l’autre. La joie est la conscience d’une vie pleine et en harmonie avec son milieu ; or, quand il y a harmonie, il y a par cela même tendance à la sympathie. La grâce est l’expression visible de ces deux états : la volonté satisfaite et la volonté portée à satisfaire autrui. La grâce, en effet, suppose une certaine détente des muscles, qui ne se produit guère chez l’animal qu’à l’état de repos, de vie expansive et d’intention pacifique. Que la douleur et la lutte surviennent, que l’hostilité et la colère éclatent, aussitôt les membres se raidissent. Tandis qu’un chien joue, faites un peu de bruit dans un buisson, et vous verrez la transformation soudaine de l’attitude : le cou se tendra, les oreilles, la queue, le corps tout entier sera en arrêt. Au contraire, la bienveillance se traduit d’habitude par des mouvemens onduleux et légers, sans rien de brusque, sans angles, sans violence ; de tels mouvemens, par la disposition sympathique dont ils sont le signe, tendent toujours à