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à Coligny et à lui pour soutenir leur parti, et dont le Havre, que les Anglais détenaient encore, avait été la garantie, Condé, pour sortir de cette situation difficile, eut recours à cet expédient. Un jour que Smith était trop pressant, il lui demanda brusquement s’il était vrai que les lords et les principaux membres des communes invitassent la reine à épouser Robert Dudley ; elle n’en avait pas encore fait un comté de Leicester, car c’était au mois d’avril 1563 qu’avait lieu cet entretien. Smith répondit qu’en effet le mariage de la reine était unanimement désiré par la nation, mais qu’aucun prétendant, soit étranger, soit Anglais, n’avait été jusqu’ici désigné. Condé, poussant plus loin ses questions, lui demanda s’il n’y avait pas quelque promesse secrète échangée entre la reine et Dudley. Smith répondit qu’elle avait beaucoup d’affection pour Dudley, mais qu’elle ne s’abaisserait jamais jusqu’à épouser un de ses sujets. Enhardi par cette réponse, Condé n’hésita plus et lui proposa à brûle-pourpoint Charles IX, et avec sa faconde Si habile et si colorée il passa en revue rapidement tous les avantages de cette union : la reine deviendrait la plus puissante princesse du monde ; elle pourrait faire la loi à tous les papistes. Smith lui objecta l’inégalité d’âge : le roi serait à peine un homme qu’elle serait déjà une vieille femme ; on pourrait dire d’elle ce qu’on disait de la reine Marie, sa sœur, qu’elle était la grand’mère du prince d’Espagne ; puis il appuya sur les répugnances et les préjugés des Anglais à l’endroit des étrangers. À cette objection Condé répondit que l’on pourrait convenir que tous les emplois seraient réservés aux Anglais, que si la reine n’avait qu’un enfant, il séjournerait en Angleterre, et s’il y en avait deux, la couronne d’Angleterre appartiendrait au second. L’entretien en resta là et Condé ne le reprit plus ; mais quelques mois plus tard, le Havre ayant été repris sur les Anglais, au cri de : « Vive la France ! » et une paix glorieuse ayant été conclue avec l’Angleterre au mois d’avril 1564, Catherine de Médicis revint à l’étrange projet de Condé. Lors du séjour qu’elle fit à Marseille, au mois de novembre 1564, en se rendant à l’entrevue de Bayonne, elle apprit de source certaine qu’Elisabeth venait d’envoyer en Allemagne Mundt, un de ses plus habiles agens, pour renouer la négociation de son mariage avec l’archiduc Charles. En flattant la vanité d’Elisabeth, toujours satisfaite quand on lui faisait des propositions de mariage, voulait-elle entraver celui de l’archiduc ? L’orage protestant, depuis qu’elle s’approchait de Bayonne, commençait à se reformer derrière elle, voulait-elle neutraliser le mauvais vouloir d’Elisabeth et en cas d’une nouvelle prise d’armes, enlever par avance aux chefs protestans l’appui de l’Angleterre ? Voulait-elle enfin, par cette diversion, exercer une pression sur Philippe II et le rendre moins défavorable aux projets de mariage qu’elle se réservait de mettre en avant à l’entrevue de Bayonne ?