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y demeurer, combien de temps nous devions y séjourner. Nous savions que des lettres nous attendaient à la poste de Brindisi, j’insistai pour aller les chercher ; gracieusement, le préfet nous les remit : elles avaient été déposées entre ses mains, pour nous épargner la peine de les décacheter, et il avait eu la complaisance de les ouvrir.

A cette époque, l’Italie méridionale était lamentable; on y vivait sous une pression dont il est difficile de se faire une idée. Le roi Ferdinand croyait toujours que la révolution allait entrer chez lui, tambour battant, mèche allumée. Depuis que, le 15 mai 1848, à l’aide des mercenaires de Suisse et de Bavière, il avait retiré manu militari la constitution qu’il avait consentie, il pesait sur ses sujets et les réduisait au silence, à l’immobilité, à l’obscurité. La délation était partout, et chacun était soupçonné. Un seul journal, le journal officiel, qui ne parlait de rien dans la crainte de dire quelque chose; censure ecclésiastique, censure royale, qui se renvoyaient les livres à examiner et les supprimaient ; en plein vent, les prédicateurs faisant concurrence à Polichinelle; les voyageurs épiés, numérotés, catalogués ; le pourboire élevé à la hauteur d’une institution; des soldats en faction devant le palais royal demandant l’aumône; la bourgeoisie celée derrière ses portes closes et n’osant se montrer; les lazzaroni arrogans et voleurs, maîtres du pavé; des rufians à chaque coin de rue, il y en avait autant que de mendians, et toute la ville mendiait. A Pompéi, il fallut nous gourmer avec les vétérans, qui ne voulaient point nous laisser prendre de notes ; à Paestum, des gendarmes nous escortèrent malgré nous et exigèrent une indemnité ; il nous en eût moins coûté d’être dévalisés par un fra Diavolo de rencontre.

A cette heure, après la compression des soulèvemens de 1848, l’Italie vivait elle encore? On en pouvait douter. La France était dans les États pontificaux; elle maintenait le pape, il est vrai, mais elle protégeait les Romains et, comme elle ne pouvait satisfaire l’un des partis sans sacrifier l’autre, elle se faisait haïr de tous les deux. En Lombardie, en Vénétie, l’Autriche ne régnait pas, elle dominait ; dans les villes, les canons chargés surveillaient les places publiques ; la guivre de Milan, le lion de Saint-Marc, étaient dépecés par l’aigle des Habsbourg; la Hongrie, vaincue, gardait l’Italie; l’Italie, écrasée, gardait la Hongrie, conservant ainsi la couronne de fer et la couronne de Saint-Étienne sur la tête apostolique et royale. De l’Adige au golfe de Tarente, l’Italie était dans la nuit. Tout au bout, vers le nord-ouest, on apercevait un fanal, pauvre lumière qui vacillait et parfois semblait près de mourir. Cette lueur indécise flottait au-dessus du Piémont ; était-ce un phare que l’on venait d’allumer? était-ce une lampe sépulcrale qui allait s’éteindre? On s’y méprenait alors. Il y avait Là aussi un petit homme d’une quarantaine d’années, myope, ironique, peu prolixe, obèse et perspicace :