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Anglais. En ce moment se trouve dans le port le brick de guerre le Britomart, qui parcourt la côte et visite les lieux habités, ayant à son bord deux magistrats appelés à rendre la justice en chaque endroit où il y a des délits à réprimer. Le Comte-de-Paris ayant tiré le canon, un canot du brick anglais monté par des officiers et par les magistrats s’était approché; — il y eut des explications un peu vives. Informé de la présence du navire de la compagnie nanto-bordelaise, le capitaine Lavaud lui envoie ses embarcations. Si à la baie des Iles, le commandant de l’Aube avait éprouvé un cruel désappointement, au port d’Akaroa, à l’arrivée du Comte-de-Paris, il devait subir de terribles embarras. « Quelle est ma surprise! écrit le capitaine Lavaud[1]. J’apprends de la manière la plus positive que M. Langlois n’a jamais traité avec les chefs de cette région, qu’il ne possède rien et que nous n’avons aucun droit de propriété à faire valoir. Assemblés chez moi, par la bouche de M. Comte, notre missionnaire qui parle la langue des Maoris, les chefs ont affirmé que M. Langlois avait seulement traité moyennant quelques marchandises pour une certaine étendue de terre située près du port Cooper[2] ; qu’il n’avait jamais été question du port d’Akaroa, qu’eux-mêmes n’avaient en rien participé au contrat intervenu entre M. Langlois et les tribus du sud-ouest de la péninsule. En même temps, ils ont dit avoir vendu à un Anglais une plaine des environs pour y faire paître des troupeaux. » Il y avait du reste au moins trois prétendans à la possession de la presqu’île de Banks. Le commandant de l’Aube, regrettant de ne pouvoir installer les colons au port Cooper, où il y avait quelque apparence de propriété, les fit débarquer dans une anse éloignée du mouillage habituel d’Akaroa, où chacun devait être en situation de cultiver une petite partie des terrains. M. Langlois s’est défendu d’être la cause de la mésaventure de l’expédition française. S’il n’avait cru manquer d’égards envers le capitaine Lavaud qu’il attendait, il eût pris possession du pays avant que le navire britannique, le Britomart, eût paru devant la péninsule de Banks. Après l’examen de la situation de la Nouvelle-Zélande à ce moment et la lecture attentive des documens, pareille pensée semble une pure illusion.

Les Français condamnés à vivre à la péninsule de Banks, déjà sous le poids de souffrances morales nées de circonstances inattendues, n’avaient guère en perspective que la misère. Le secrétaire de la compagnie, M. de Belligny, étant arrivé, put, de concert avec le capitaine Lavaud, obtenir des autorités anglaises la promesse d’un traitement favorable dans la répartition des terres; néanmoins

  1. Lettre en date d’Akaroa, 20 août 1840. (Archives du ministère de la marine.)
  2. Baie des Pigeons ou Tokalabo des indigènes.