Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Partie du petit village de Couratiz à dix heures du soir, la troupe arriva à une heure du matin, par une sombre nuit de novembre, devant le ravin qui bordait le pied du rempart. Maurice, après être descendu avec Chevert lui-même pour déterminer le point d’attaque, revint prendre place avec sa réserve, que commandait le marquis de Mirepoix, de l’autre côté du fossé, sur une petite éminence faisant face au bastion principal. Des échelles furent alors posées au lieu désigné ; comme on les avait prises au hasard dans les villages voisins parmi celles qui servaient ordinairement aux maçons et aux couvreurs, elles se trouvaient naturellement de dimension peu convenable et il fallut en ajuster trois l’une à l’autre pour atteindre le sommet du mur. Quand l’attache fut enfin solidement établie, Chevert, se retournant vers ses grenadiers, demanda quel était le brave à trois poils qui voulait mettre le pied le premier. Un sergent du régiment d’Alsace, nommé Pascal, sortit du rang, et c’est alors que s’engagea le dialogue d’une simplicité héroïque que la tradition a conservé : — « Tu veux monter le premier, camarade? — Oui, mon colonel. — Quand tu seras sur le mur, la sentinelle va te crier: Wer da? (Qui va là?) — Oui, mon colonel. — Tu ne répondras rien. — Non, mon colonel. — Elle tirera sur toi. — Oui, mon colonel. — Elle te manquera. — Oui, mon colonel. — Tu la tueras. — Oui, mon colonel. »

Ce qui fut dit fut fait; seulement, dès que le grenadier eut pris pied sur le mur, le factionnaire, surpris, tira en l’air et s’enfuit, et huit grenadiers avec Chevert, quatre dragons avec le jeune Broglie, étaient déjà sur le parapet du bastion avant que du corps de garde voisin on eût pris l’alarme. À ce moment, Maurice, qui suivait le mouvement, s’apercevant au bruit des armes que l’éveil était enfin donné, se leva en criant d’une voix forte : « A moi, dragons! » pour détourner l’attention de son côté. La garde du poste, encore tout étourdie, fit en effet feu dans le sens où elle entendait la voix, Maurice fit riposter les hommes qui étaient avec lui, et, pendant que la fusillade s’engageait ainsi d’un bord à l’autre du ravin, l’escalade continuait silencieusement : grenadiers et dragons se hâtaient de monter avec un tel empressement que plusieurs échelles surchargées se rompirent sous le poids des hommes. Mais dès qu’une compagnie fut formée, elle se mit en marche vers le corps de garde au son du tambour, en criant : Vive le roi ! Au même moment éclatait, à l’autre extrémité de la ville, le bruit des deux attaques dont on était convenu, et toute la garnison courant pour y faire face, il ne resta personne pour venir en aide au poste surpris. Chevert s’empara sans peine du corps de garde, puis de la porte voisine, dont il fit abattre le pont-levis, et Maurice entra avec sa cavalerie et tout son monde. Il traversa au petit jour les rues désertes. D’Argenson