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bien ce qu’on veut. Veut-on faire de l’enseignement supérieur une simple école de commentateurs?

On appelle cela le progrès; il faut s’entendre. Le progrès, il était dans l’extension et la variété des programmes d’enseignement; il n’était pas dans la domination d’une méthode exclusive. Ici comme ailleurs, la vraie solution de cette question si controversée, c’est la liberté des méthodes appropriée à la nature de chacun et garantie par le talent des maîtres. Cela vaut mieux que tous les ukases ministériels. Ce qui est à redouter, c’est la mortelle rigidité des règlemens absolus et l’uniformité funeste des procédés substitués à la libre initiative et à l’autorité vivante d’un maître intelligent et consciencieux. Toutes les méthodes sont bonnes, dès qu’elles sont fécondes; elles sont fécondes dans la mesure des facultés de celui qui les emploie. Ici encore se révèle la valeur de l’homme. Je ne connais, quant à moi, après une longue pratique de l’enseignement, qu’une seule méthode qui soit excellente, c’est un maître bien choisi pour son emploi. Tant vaut l’homme, tant vaut la méthode. Le reste ne signifie pas grand’chose. On nous parle des préjugés de la routine ; c’est bien ; mais qu’on n’oppose pas à la prétendue routine d’autres préjugés, d’autres lieux-communs, d’autres exagérations qui ne sont que le progrès à rebours et la même routine renversée.

Que de fois il m’est arrivé de traiter cette question en causant avec un maître éminent, un pédagogue, — et ce qui ne gâte rien, — un psychologue très fin, M. Bersot, qui quelque temps avant sa mort, commençait avoir clairement le péril que je signale et s’efforçait un peu tardivement de le combattre! Dès qu’il eut vu où l’on nous menait, la verve de son bon sens, l’éclat de sa colère contre des sottises (splendida bilis) ne tarirent pas sur ce sujet. Que l’on me permette de rappeler quelques traits de ces entretiens où se marquait une expérience délicate et consommée. Et certes celui qui parlait ainsi n’était pas de ceux que l’on se plaît à désigner comme rétrogrades[1] : « Il n’y a pas à le nier ; il s’accomplit dans l’enseignement supérieur un mouvement d’opinion qui mérite d’être pris en sérieuse considération, par la nature des raisons qui sont produites à l’appui et des personnes qui les présentent. Il faut accepter nettement ce qu’il y a de légitime dans les réformes que l’on propose. Mais il faut aussi bien faire des réserves. Une préoccupation utilitaire semble dominer tous ces réformateurs qui dénoncent les abus des anciens cours de faculté et qui les traitent comme un genre condamné. On prétend faire profiter chaque jour l’élève, dans le nouvel enseignement, d’une quantité calculable de connaissances.

  1. On trouvera la plupart de ces utiles considérations développées dans l’Introduction de M. Bersot au livre posthume de M. Saint-Marc Girardin sur J.-J. Rousseau.