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de la signature du traité. Eût-il été insensible aux complimens (et on n’est jamais très difficile, ni très clairvoyant en cette matière quand on aime la gloire), le seul fait d’être tiré de peine et de sortir d’un faux pas l’eût disposé à les bien accueillir. Après des heures de mortelles angoisses, l’adhésion de Frédéric, soudainement obtenue, aplanissait comme par enchantement toutes les voies. Car ce n’était pas à Munich que Belle-Isle pouvait trouver aucune résistance. L’électeur, d’un caractère naturellement doux et de manières aimables, l’électrice dont la perspective d’une couronne comblait tous les vœux, le recevaient à bras ouverts, on le traitait en roi et en cousin, et, ce qui lui était plus agréable encore, on l’écoutait comme un oracle. Il avait avec le prince de longues heures de conférence pendant lesquelles il développait ses plans de campagne, en préparait les moindres détails, et il s’émerveillait de les voir très docilement agréés. Comme tous les gens pleins de leurs propres idées, qui s’écoutent parler et s’imaginent qu’on pense comme eux quand on ne les contredit pas, l’ardent ambassadeur prenait pour une intelligence facile ce qui n’était chez Charles-Albert que l’adhésion d’un esprit faible à des desseins qu’il comprenait trop peu pour être en mesure de les débattre. L’expérience devait faire voir que la même faiblesse rendrait ce médiocre prince incapable de les exécuter. Mais, en attendant, l’ascendant de Belle-Isle lui avait fait accepter des arrangemens qui s’accordaient avec ceux que le roi de Prusse se décidait enfin à souscrire, et pour comble de satisfaction, l’ambassadeur d’Espagne, le comte de Montijo, venait d’arriver de Francfort tout à point pour apporter l’accession de son gouvernement à cette alliance et la promesse d’une diversion utile dirigée par les troupes espagnoles contre les possessions autrichiennes d’Italie.

Ce fut donc avec un sentiment de contentement bien légitime que Belle-Isle envoya, le 6 juin, à Fleury, la lettre même qu’il avait reçue de Frédéric, mais il eut le bon esprit de rabattre quelque chose des éloges, ou plutôt l’habileté d’en reporter une part au cardinal lui-même. « Les louanges excessives, disait-il, que ce prince me donne et que je ne mérite que par mon zèle, m’auraient empêché d’envoyer cette lettre, si elle ne m’avait paru nécessaire pour confirmer tout ce que j’ai mandé. Je fais de tout mon cœur mon compliment à Votre Éminence, voilà le plus heureux dénoûment d’une négociation qu’elle a conduite avec autant d’habileté que de sagesse. Le grand-duc sera exclu du trône impérial, et Votre Eminence y fera monter l’électeur de Bavière. Elle aura la gloire d’abaisser pour toujours cette maison rivale et ennemie de la France ; elle confondra par la vigueur de ses opérations la haine et l’envie