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semble bien prouver que le parlement agissait dans la plénitude indiscutable de sa compétence. C’est que ni la radiation de Tercier, ni la révocation du privilège par arrêt du conseil du roi, n’empêchèrent la procédure de se poursuivre. Un arrêt du parlement, toutes chambres assemblées, faisant droit aux réquisitions de l’avocat-général, condamna le livre de l’Esprit, le 6 février 1759, à être lacéré et brûlé par l’exécuteur de la haute justice. Choiseul, qui venait de supplanter Bernis, profita de ce que l’arrêt donnait publiquement acte à Tercier de son humiliation, de son repentir, et de sa promesse de ne plus examiner de livres pour destituer le pauvre homme. On peut voir les raisons du nouveau ministre dans le livre du duc de Broglie sur le Secret du roi[1].

L’affaire est caractéristique des difficultés que rencontrait un directeur de la librairie du côté du parlement. Voici quelques échantillons de celles qu’il rencontrait du côté des auteurs.

Je ne saurais dire précisément de quelle époque datent les premières relations de Malesherbes et de Voltaire. Ils avaient sans doute, par les Grimod de la Reynière et autres puissans seigneurs de la finance, plus d’une liaison commune. Cependant Malesherbes, quand les rapports changèrent, et de mondains qu’ils pouvaient être devinrent administratifs, semblerait tout d’abord s’être tenu sur la réserve. Il s’agissait de l’édition prétendue furtive de l’Histoire universelle, — c’est l’Essai sur les mœurs, — donnée contre le gré de Voltaire par le libraire Jean Néaulme, à la fin de l’année 1753. Voltaire en demandait la suppression, et fidèle à sa manie de traiter avec les puissances, passant par-dessus la tête de M. de Malesherbes, il s’était adressé directement au chancelier. Malesherbes, dans une lettre que nous n’avons pas pu retrouver, lui en marqua peut-être quelque mécontentement» Voltaire, avec sa prestesse accoutumée, changea de batteries aussitôt : « Quand j’ai eu l’honneur de vous envoyer, monsieur, lui écrivit-il, ce procès-verbal avec une lettre pour monseigneur le chancelier, j’ai cru qu’il avait le ministère de la littérature. Puisque c’est vous qui en êtes chargé, monsieur, j’attends de vos bontés que vous voudrez bien faire parvenir au roi la vérité qui vous est connue. Quel autre que vous peut faire connaître cette vérité opprimée[2] ? » Malesherbes répondit par la lettre suivante, un peu longue, mais que nous donnons tout entière parce qu’elle montre bien dans quelles étroites limites se resserraient les attributions d’un directeur de la librairie, et puis pour une autre raison, que l’on verra tout à l’heure.

  1. On peut consulter encore sur toute cette affaire les Mémoires sur la librairie, de Malesherbes lui-même.
  2. Œuvres complètes de Voltaire; Éd. Moland, t. XXXVIII, lettre 2702.