Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il lui avait arraché la promesse de le seconder dans sa politique intérieure, d’interposer ses bons offices et sa suprême autorité à l’effet de gagner à ses projets le parti du centre catholique, s’engageant en retour à faire rendre gorge aux larrons qui l’avaient dépouillé de son bien. Jadis, après la conclusion du concordat, les prélats intransigeans disaient du pape Pie VII : Per conservare la sede, ha perduto la fede. On prétendait que le pape Léon XIII avait sacrifié les intérêts de l’église universelle, la dignité de l’épiscopat; ses amis du centre et M. Windthorst pour rentrer en possession de Rome, et de semaine en semaine on attendait de Berlin une note comminatoire et impérieuse, qui à la vérité n’est jamais venue.

Que les temps sont changés ! et qu’il est vrai de dire que le caractère des hommes et les orgueilleuses volontés des grands politiques sont à la merci des vicissitudes de la fortune ! Pendant que les envahisseurs de la France s’occupaient de célébrer à Versailles la restauration de l’empire germanique, ils virent se présenter dans leur camp un ambassadeur qu’ils n’attendaient point. C’était un gentilhomme de grandes manières, fort en crédit à Berlin, un ancien nonce, devenu prince-évêque de Posen. Il s’appelait le comte Ledochowski, et il arrivait de Rome, chargé d’un message du pape Pie IX pour M. de Bismarck. Il venait lui annoncer que le père des fidèles était disposé à bénir ses victoires et ses projets si la Prusse consentait à prendre sa défense, à revendiquer les droits dont il était déchu. Il y avait alors au Vatican tout un parti qui jugeait que la France venait d’être justement châtiée, que le ciel lui faisait payer ses forfaits, ses criminelles complaisances pour la révolution, pour les enfans du démon, pour les spoliateurs de l’église, et ce parti était prêt à rendre hommage à Cyrus, pourvu que Cyrus s’employât à relever le temple et à rétablir le pontife dans sa dignité première. Mais, en ce temps, M. de Bismarck, enflé par ses succès, ne pensait pas avoir besoin du Vatican et il méprisait ses propositions. Il estimait que César se suffit à lui-même, que, quoi qu’il ordonne, il est sûr d’être obéi, et qu’il y avait de l’insolence dans les offres d’amitié qu’un prêtre étranger lui faisait. Peut-être avait-il déjà conçu son grand dessein; peut être méditait-il déjà de se faire le champion de toutes les libertés de l’esprit humain, de devenir le plus populaire des Allemands par la croisade qu’il allait prêcher contre l’obscurantisme papal, de détruire jusqu’aux derniers restes du particularisme hanovrien et bavarois en groupant toute l’Allemagne autour d’un nouveau Luther éperonné et casqué. La négociation de l’évêque posnanien est demeurée mystérieuse. M. de Bismarck daigna-t-il le recevoir? se donna-t-il la peine de discuter ses instructions, de lui prouver qu’il s’était trompé, qu’il avait mal choisi son jour et son heure ? On ne le sait. Une seule chose est certaine, c’est que cet envoyé aussi malencontreux qu’inopportun échoua dans