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sa mission, et qu’il en fut quitte pour dire une messe à laquelle aucun prêtre français ne consentit à assister.

Plus tard, quand la lutte eut éclaté et que le pape Pie IX, revenu de ses vaines illusions, se permit de dénoncer l’Attila, le Nabuchodonosor de Berlin aux vengeances du ciel, M. de Bismarck, irrité de l’audace de ce vieillard qui le regardait en face et bravait son courroux, fut tenté de se plaindre qu’en faisant la loi des garanties les Italiens l’avaient rendu trop puissant et trop libre, qu’ils avaient bien songé à détrôner le souverain, mais non à tenir en bride le tribun, qu’en définitive ils l’avaient trop garanti, et peu s’en fallut qu’il n’envoyât une note au Quirinal pour le rendre responsable des anathèmes du Vatican. Il se ravisa et il eut raison. Aujourd’hui, il a fait des expériences qui l’ont instruit. Il s’est convaincu que César ne peut rien sur les consciences, il a abandonné sa chimérique entreprise. Son soin le plus cher est de rétablir en Allemagne la paix religieuse compromise par sa faute; il cherche à s’entendre avec le Vatican, dont il ne méprise plus l’amitié, et les journaux qui reçoivent ses confidences reprochent à la loi des garanties de ne pas garantir assez celui que naguère il déclarait trop libre et trop puissant. Ce n’est pas nous qui le blâmerons de cette volte-face imprévue. Un homme d’esprit n’a-t-il pas dit qu’il n’y a que Dieu et les imbéciles qui ne changent pas?

Sur un point, M. de Bismarck ne s’est pas démenti. Ennemi ou ami de l’église, il a pu regretter dans tous les temps l’abolition du pouvoir temporel. Un pape qui a des liaisons et des attaches ici-bas est plus maniable, plus accommodant, plus mesuré dans ses paroles, plus soucieux des convenances et des conséquences qu’un pape détaché de tout, qui n’a rien à perdre, ayant tout perdu. L’un a des intérêts de propriétaire à soigner; il doit compter avec les hommes, surtout avec les souverains; et s’il lui arrive de s’égarer dans le ciel, il suffit d’une frégate apparaissant dans les eaux de Civita-Vecchia pour le ramener brusquement sur la terre. L’autre est un pur esprit, dont le prestige s’accroît par son dépouillement; il ne donne point de prise, il échappe à toute contrainte, on ne peut agir sur lui que par des argumens, et les argumens ne touchent guère un infaillible. Dans le temps de ses grandeurs, on demandait à l’impératrice Eugénie pourquoi elle était si désireuse de conserver son patrimoine au Saint-Père; elle répondit : « C’est moins pour son bien que pour le nôtre. »

Il ne peut venir à l’esprit de personne que M. de Bismarck ait conçu sérieusement la pensée de faire la guerre à l’Italie pour rétablir le pouvoir temporel. Personne n’admettra non plus qu’il ait fait une semblable promesse à Léon XIII, et s’il l’avait faite, elle eût trouvé peu de créance. Ce qui paraît certain, c’est qu’il s’en est tenu à de vagues ouvertures; il a témoigné ses sympathies, ses obligeantes sollicitudes,