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général, à moins qu’on ne prenne soin de l’étouffer par la violence. Il sera facile de se débarrasser d’eux sans bruit. Les élections pour les conseils généraux ou les conseils des nahiès ne seront jamais qu’une jonglerie. Les élections pour un parlement central ne seraient pas beaucoup plus sérieuses ; néanmoins, comme on l’a vu une première fois, il suffirait qu’elles laissassent passer un ou deux esprits indépendans pour que le parlement lui-même ne fût pas un simple théâtre où l’on jouerait des parades parlementaires. Il n’y a que deux manières de régénérer une administration orientale ; la première, et la seule dont le résultat soit certain, est celle qui a été employée en Égypte. Elle consiste à établir une tutelle européenne au centre même de l’administration et du gouvernement. Mais, pour agir en Turquie comme on l’a fait en Égypte, il faudrait que le sultan y consentît, et que toutes les puissances, renonçant à leurs ambitions personnelles, s’unissent sans arrière-pensée afin de travailler au bien d’un pays dont plusieurs d’entre elles convoitent les dépouilles. Il faudrait donc l’impossible. La seconde manière est beaucoup plus chanceuse : peut-être réussirait-elle, peut-être ne réussirait-elle pas, peut-être amènerait-elle une révolution politique au lieu d’une réforme administrative, mais dans tous les cas, elle ne resterait pas sans effet. Elle consisterait à essayer de nouveau le régime constitutionnel et parlementaire. J’ai vu des Turcs fort éclairés et nullement fanatiques, persuadés que l’autorité du sultan, que le prestige du califat, que l’organisation religieuse et politique de la Turquie, ne sauraient résister aux discussions incessantes d’une assemblée indépendante et d’une presse libre. Il ne serait pas surprenant qu’ils eussent raison ; mais que devrait-on en conclura ? Une chose qui résulte de l’étude de la situation de l’empire ottoman, de quelque manière qu’on l’envisage et à quelque point de vue qu’on se place pour l’entreprendre : la Turquie est inguérissable, puisque les seuls remèdes qui pourraient la guérir seraient pour elle pires que le mal dont elle souffre. Sa décadence est irrémédiable ; elle s’effondrera dans une catastrophe violente on dans une crise lente ; mais elle ne se transformera pas et ne reprendra jamais une nouvelle vie.


III.

Si déplorable que soit l’état administratif de l’empire ottoman, ce n’est pourtant pas de là que viendra le mal qui l’emportera. On ne saurait en dire autant de l’état de ses finances. Personne n’ignore que la dernière guerre a été singulièrement favorisée par la banqueroute dont l’Europe entière avait souffert. Sous la fameuse agitation