Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/868

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conviendra cependant qu’il pourrait s’acclimater aisément dans un pays où le régime des havaley et des affectations spéciales semble en avoir préparé l’essai. Mais il est plus que douteux que le sultan Abdul-Hamid consente jamais à l’appliquer. Il n’a pas touché aux six contributions depuis qu’il les a livrées aux banquiers de Galata ; mais l’expérience est trop récente pour être concluante. Au premier danger qui menacera l’empire, Abdul-Hamid n’édictera-t-il pas un iradé pour ordonner à M. Lang de verser au séraskiérat les sommes qu’il perçoit pour les créanciers ! S’il ne l’a pas fait jusqu’ici, c’est qu’il est obligé à bien des ménagemens envers les banquiers de Galata. Ayant perdu tout crédit en Europe, c’est seulement auprès d’eux qu’il peut contracter quelques emprunts. Ceux-ci, de leur côté, enchantés d’avoir enfin entre les mains un gage véritable et désireux de montrer qu’ils en feraient très bien valoir d’autres si on voulait les leur livrer aussi, n’ont certainement rien épargné pour que la gestion des six contributions eût un plein succès. Attendre d’aussi beaux résultats de toutes les entreprises du même genre qui pourraient être essayées serait peut-être téméraire. Mais ce qui serait plus téméraire encore, c’est de croire qu’Abdul-Hamid se résignera à aliéner sérieusement à des Européens les revenus de son empire. Qu’il en aliène quelques-uns dans une heure de crise, soit ! mais, la crise passée, le fanatisme reprendra ses droits. J’ai montré dans un précédent article que la pensée dominante du sultan actuel était d’opposer l’islamisme au christianisme, d’évincer peu à peu les Européens de son empire, de rendre aux musulmans la terre musulmane. Ce n’est pas au moment où il rêve d’accomplir cette œuvre jusqu’en Afrique, qu’il souscrira bénévolement à une diminution de sa puissance en Europe et en Asie. Comme tous les Orientaux, il ne songe qu’au moment présent, et l’on obtiendra de lui de très grandes concessions chaque fois qu’il s’agira d’un avantage immédiat dont il sentira vivement le besoin ; mais dès que cet avantage sera acquis, il reviendra à son programme étroit, ne se croyant en rien lié par des engagemens pris envers des chrétiens. Il ne lui coûtera pas plus de reprendre un groupe de contributions livré à des créanciers européens qu’il ne lui a coûté, au moment de sa lutte avec les Grecs, de reprendre les havaley concédés à la Banque ottomane. Pour l’obliger à respecter ses promesses, il faudrait la force. En dehors de la force, il n’y a rien à attendre de la Turquie.


IV.

De quelque manière qu’on envisage la situation de l’empire ottoman, qu’on l’étudie politiquement, administrativement, financièrement