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tous d’une même passion, mais équilibrés avec art de manière à soutenir par des contrastes l’intérêt d’une donnée qui, semblait comporter peu de variété. Bien que les noms des dieux ou des Titans aient été le plus souvent gravés sur l’encadrement supérieur de la frise, il n’est pourtant pas facile de les reconnaître tous, à cause des modifications que, suivant des traditions locales, leurs types habituels ont pu subir. Le caractère de l’écriture employée pour ces désignations a cependant permis de fixer d’une manière à peu près certaine la date de cette frise, les lettres dont on s’est servi étant semblables à celles qui étaient usitées sous Eumène II (197-159), date que confirment d’ailleurs d’autres indications. Il est curieux de voir persister à une époque déjà si avancée la représentation d’un mythe qui se retrouve à l’origine des théogonies antiques, dans l’Inde aussi bien qu’en Grèce, et que le christianisme a également respecté quand, transportant dans l’ordre moral ce conflit que les anciens avaient placé entre les forces de la nature, il nous montre le dualisme du bien et du mal personnifié dans la lutte entre les anges et les démons. Peut-être la fréquence des tremblemens de terre qui désolent ces contrées a-t-elle contribué à y maintenir la figuration de ces scènes violentes où se trouve rappelé le désordre des élémens aux temps mythologiques du chaos. En tout cas, la scène telle qu’elle est traitée n’apparaît point comme une de ces vaines allégories où se serait exercée l’habileté banale d’un artiste. Son style est sérieux et élevé, et son caractère terrible et grandiose.

Tout d’abord, et c’est là pour un art une des épreuves les plus décisives qu’il puisse affronter, la Gîgantomachie de Pergame nous révèle, dans la conception des monstres qui y figurent, une puissance d’invention tout à fait merveilleuse. Les créatures fantastiques qu’elle nous présente y revêtent des aspects plus saisissans que ceux de la réalité elle-même, et les transitions, toujours si délicates à observer entre des formes empruntées à des êtres différens, sont ici ménagées avec un goût exquis. Pour n’en citer qu’un exemple, dans ces hippocampes qui, attelés au même joug, se cabrent en frémissant, des nageoires habilement adaptées au poitrail dissimulent de la façon la plus heureuse la soudure d’un corps de cheval avec la naissance des écailles qui recouvrent la queue. Ce morceau fut un des premiers spécimens envoyés de Pergame, alors qu’au début des fouilles on témoignait encore à Berlin quelque hésitation avant de s’engager davantage, et ce fragment, l’un des moins importans de tous cependant, parut alors d’une telle beauté que sa vue suffit pour faire décider la continuation de l’entreprise. C’est surtout dans les géans que se manifeste cette fécondité