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originaux disparus. Mais, lorsque, par une longue fréquentation des musées, on a essayé d’acquérir cette éducation du goût qui naît du commerce des chefs-d’œuvre, on devient jaloux aussi de réserver ses plus hautes admirations pour les ouvrages qui en sont dignes, pour ceux qui, réalisés par un accord étroit de la pensée et de l’exécution, portent en eux, avec ces touches inimitables dont les artistes créateurs conservent le secret, ce souffle de vie que seuls ils savent leur communiquer.

La découverte de la frise de Pergame nous vaut d’ailleurs bien d’autres enseignemens, et, sur plus d’un point encore, renouvelle l’histoire de l’art antique. On était un peu trop disposé à croire que, peu de temps après Phidias, la décadence avait commencé pour cet art. Le nom de Praxitèle, trop souvent prodigué à des œuvres médiocres, ne répondait pas suffisamment pour nous à la haute idée que, chez les anciens, on se faisait de son talent. Désormais, nous savons mieux ce qu’il valait. Mais cette grâce exquise dont Praxitèle est le représentant accompli n’avait-elle pas bientôt après dégénéré en afféterie, en manière? Il était permis de le craindre et de ne point trop compter sur la réaction qu’allait provoquer l’école de Pergame, alors que, sans dédaigner la grâce, elle l’unissait à la force et donnait des preuves si manifestes d’une sève et d’une vitalité nouvelles.

D’où venait donc cette école de Pergame et à quelle origine immédiate peut-on la rattacher? S’il reste encore bien difficile de répondre d’une manière précise à cette question, dès maintenant du moins, il est permis de constater l’importance croissante qu’à partir d’une certaine époque nous devons attribuer au mouvement de l’art dans l’Asie-Mineure. De tout temps, entre celle-ci et la Grèce, les relations avaient été fréquentes; elles étaient devenues plus étroites encore après la conquête d’Alexandre. Bien des villes de la côte asiatique étaient des colonies grecques, toutes pénétrées de la civilisation et de l’art helléniques. Les plus célèbres sculpteurs de la Grèce, Polyclète, Scopas, Praxitèle, n’avaient pas cessé de travailler pour elles; ils savaient qu’ils y trouvaient des juges et que leur talent y était apprécié. Tout le long de ce littoral, c’était comme une succession ininterrompue de monumens fameux : les tombeaux de Xanthe à la pointe de la Lycie, celui de Mausole et ses statues colossales à Halicarnasse ; le temple de Diane à Éphèse; à Priène, celui d’Athéna Poliade[1] ; à Pergame, celui de Jupiter et

  1. C’est à Priène qu’apparaissent pour la première fois des géans ailés et anguipèdes, pareils à ceux de Pergame; les bas-reliefs de Priène offrent aussi plusieurs épisodes analogues à ceux de la Gigantomachie.