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exposés aux yeux de tout le monde, et chacun peut les vérifier. J’ajouterai que la nature même de ses travaux, travaux de spécialiste et travaux d’érudit, répond mieux au caractère d’érudition pure et de spécialité rigoureuse que l’on voudrait depuis quelques années donner à l’enseignement du Collège de France. Mais là justement est toute la question. L’enseignement de l’histoire de l’art doit-il être donné comme l’enseignement de l’archéologie grecque ? ou doit-il être donné comme l’enseignement de la littérature française ? En d’autres termes : la chaire est-elle instituée, comme une chaire de chinois, ou de sanscrit, ou d’hébreu, pour le profit de quelques initiés seulement et la gloire, à laquelle d’ailleurs nous sommes très sensible, d’entretenir quelque part, en France, le culte désintéressé de la science ? ou l’établit-on pour mettre le grand public à même de puiser quelque part un enseignement devenu de nos jours indispensable à l’honnête homme ? En d’autres termes encore : le professeur aura-t-il accompli sa tâche quand il aura formé quelques élèves capables de continuer une tradition savante ? ou doit-il parler en quelque sorte à tout le monde, et de façon que sa voix, par-delà l’enceinte du Collège de France, aille éveiller l’indifférence et provoquer l’intérêt public pour les choses qu’il enseigne ? Assurément, s’il s’agissait ici d’une chaire de Sorbonne, quoi qu’on en dise et quoi qu’on en puisse dire encore, nous n’hésiterions pas : c’est à tout le monde que le professeur devrait parler, mais il s’agit d’une chaire du Collège de France, et le doute est permis. Les travaux antérieurs de M. Lafenestre, très divers, et qui sont comme autant de rapides et vives excursions dans presque toutes les provinces du vaste domaine de l’histoire de l’art, indiquent bien que c’est de la seconde manière qu’il comprendrait l’enseignement de sa chaire. Elle serait bonne. Et pourtant, au Collège de France, on ne peut pas se dissimuler qu’il y aurait des raisons de préférer la première comme plus conforme à la tradition, telle du moins que depuis quelques années, on s’efforce de la constituer. Ce qui fait d’ailleurs la difficulté du choix, c’est qu’il s’agit d’un enseignement nouveau, dont la tradition n’est pas encore faite ; qu’il y a d’excellens motifs, d’une part, de le réduire aux conditions de l’enseignement général du Collège de France ; et des motifs non moins excellens, d’autre part, de le distinguer, à l’origine tout au moins, de ces enseignemens que la nature même de leur contenu réserve à l’usage de quelques élèves de choix. Il n’y a pas d’intérêt à ce que tout le monde possède quelques notions de tartare-mandchou : dira-t-on qu’il n’y en a pas davantage à ce que tout le monde ait quelque teinture au moins de l’histoire de l’art ? Et voici l’espèce de dilemme où nous sommes enfermés. Au cas que l’enseignement général vienne à l’emporter en la personne de M. Lafenestre, on pourra se demander si vraiment une telle chaire est bien à sa place au Collège de France. Mais au cas que ce soit avec M. Müntz